Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mai, c’est Dieu qui joue le beau rôle ; dans son drame d’Adelchi, c’est Didier qui a tort, par l’unique raison que Charlemagne porte l’épée de l’église. Quant aux Fiancés, on en pourrait faire un livre de dévotion. L’épiscopat y est glorifié dans Borromée, le cloître dans le frère Christophe, et si don Abbondio n’est pas tout à fait un galant homme, il n’est pas non plus un scélérat ; les scélérats sont laïques. Manzoni ne se contenta pas de laisser sa religion s’exhaler elle-même de ses œuvres, il voulut la soutenir contre ceux qui l’attaquaient, et il écrivit un petit livre à l’honneur de la morale catholique. Il fut enfin le Chateaubriand de l’Italie, mais un Chateaubriand « qui croyait. » Il sonna le premier les cloches et ramena dans le temple ceux que le rire du dernier siècle en avait chassés. A son appel accoururent autour de lui les écrivains, même les patriotes, qui firent un rêve insensé : ils songèrent que les ancres devenaient des voiles, que les chaînes devenaient des ailes, que l’église romaine allait affranchir et relever l’Italie. Si cette illusion que Pie IX devait partager d’abord, puis détruire, a pu durer plus de vingt-cinq ans, Manzoni fut le premier coupable, car il avait séduit à ses convictions les esprits les plus distingués de la péninsule, et Balbo, Troya, Gioberti, Azeglio, Rosmini, étaient tous plus ou moins descendus de lui. Aussi a-t-il été vivement attaqué dans le camp libéral, surtout après les événemens de 1848 et la défection du pape. Un honnête homme et très modéré, M. Luigi Settembrini, l’un de ceux (c’est un titre d’honneur) que Ferdinand II envoya au bagne, vient de publier une histoire littéraire très vivante[1], écrite comme on parle, sans emphase et sans germanisme, où il n’arrondit point ses périodes et ne les bourre pas de subjectif et d’objectif. Il s’est pourtant montré sévère avec Manzoni, parce qu’il a vu du parti-pris dans ce qui était un mouvement naturel de la conscience. Il a dit que le romantisme en Europe était une réaction religieuse contre les idées du XVIIIe siècle, et qu’en Italie la réaction était catholique, ramenant de vieilles idées dans des formes nouvelles : « le moyen âge avec le pape, les moines et les barons, confits dans les douceurs du jour. » Par cette raison, d’après M. Settembrini, les Fiancés, « c’est le livre de la réaction, qui même aujourd’hui s’y regarde comme dans un miroir où elle est embellie grâce à l’art du poète. » Et plus loin il compare le roman de Manzoni « à une petite église de villa, d’une chaste architecture italienne, neuve, propre, luisante, avec des ornemens de fin travail,… desservie par des frères tout roses qui chantent et prient et font des processions,

  1. Lezioni di letteratura italiana detlate nell’ Università di Napoli da Luigi Settembrini, 3 vol. ; Napoli, Morano, 1872.