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mandant secours pourtant et en se ménageant la possibilité d’y envoyer le trop-plein des pluies d’orage, qui sans cela regorgerait dans nos rues. Malheureusement l’inconvénient n’était que déplacé; il subsistait tout entier pour les rives de la Seine, qui, au-dessous de Clichy et de Saint-Ouen, se trouvent envasées sur le parcours du flot collecteur. Les matières lourdes tenues en suspension par le courant rapide de l’égout gagnent le fond, et se rangent contre les berges de droite aussitôt qu’elles pénètrent dans le cours plus lent de la rivière. La ville de Paris était dans son droit de rejeter loin d’elle les élémens nuisibles aux habitans; mais l’état, qui a charge de faire fonctionner régulièrement l’organisme de la France, trouve fort mauvais, et avec raison, que l’on engrave d’une façon dangereuse le canal de navigation par où nos bateaux de fleuve gagnent la Normandie et la mer. De là des contestations sans nombre et des dépenses considérables, car il fallait, — car il faut encore, — draguer sans cesse le lit de la Seine au-dessous de l’embouchure des collecteurs, afin d’en extraire les 120 millions de kilogrammes de dépôt solide qu’ils y jettent chaque année, ce qui équivaut à une dépense qui peut s’élever à 100 ou 150,000 francs. En outre toutes les matières solubles, précieuses comme engrais et que le commerce peut facilement utiliser, les alcalis, les phosphates, l’azote, représentant une valeur minima de 15 millions, sont entraînées par la Seine, qui les perd dans la mer. Donc obstacle apporté à la libre navigation du fleuve, dépenses forcées, pertes de produits chimiques dont la valeur est considérable : c’était là une situation à la fois fausse et maladroite, dont il fallait savoir se tirer avec honneur. On en est sorti par un trait de génie, en créant une œuvre nouvelle très grandiose, très simple, démocratique au premier chef, qui a déjà donné des résultats surprenans.

L’espace de terrain enveloppé par l’énorme second coude que fait la Seine en se repliant sur elle-même depuis Neuilly jusqu’à Chatou s’appelle la plaine de Gennevilliers. Il est difficile de rencontrer une terre plus stérile, c’est le pays de prédilection des orties, du chardon et de la petite euphorbe; sable et cailloux à peine recouverts d’une mince pellicule de terre végétale qui ne peut même conserver l’humidité que la pluie lui apporte, car l’eau pénètre immédiatement le lit de gravier et y disparaît. Les noms que l’on a donnés aux divers lopins qui divisent cette vaste plaine prouvent combien elle est improductive : les Grésillons, le Trou aux Lapins, l’Arbre sec, le Fossé blanc, l’Échaudé, la Grosse Pierre. Quelques chasseurs d’alouettes s’y hasardaient de temps en temps et y faisaient étinceler le miroir. L’hectare, — à la porte de Paris, — se louait en moyenne de 78 à 86 francs par année. On y cultivait,