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peintres de l’Espagne, Rodrigue Velasquez. Cette œuvre magistrale forme avec le tableau de Greuze le plus frappant contraste, et les deux toiles, placées l’une en face de l’autre, résument l’école française du XVIIIe siècle et l’école madrilène du XVIIe dans ce qu’elles ont de plus artistement fini et de plus vigoureusement touché.

Abbeville, au moment de l’investissement de Paris, reçut un commandant militaire qui passa, sans transition, du rang de commis de marine au grade de lieutenant-colonel. Il ne parlait que de s’ensevelir sous les ruines de la ville, de briller sa dernière cartouche, — il ne brûla pas même la première, et il était en train de négocier la capitulation lorsque le préfet, M. Lardière, télégraphia immédiatement à Lille, et l’ordre fut donné à un brave officier de l’armée, M. Babouin, de se rendre à Abbeville avec des troupes et de l’artillerie, et de faire une bonne défense. Vingt et une pièces de canon furent expédiées de Boulogne et de Calais sur Abbeville; mais ces pièces n’avaient ni caissons ni chevaux; elles n’étaient approvisionnées qu’à quarante coups, ce qui était à peine suffisant pour un jour. M. Babouin ne se découragea cependant pas; il fit exécuter des travaux sur les hauteurs qui dominent la ville, y plaça quelques canons pour tenir l’ennemi à distance, et attendit l’attaque, bien résolu à exécuter les ordres du général Faidherbe, qui lui avait recommandé de tenir à tout prix.

Ce qui s’est passé à Abbeville donne une idée exacte de ce qui s’est fait dans toutes les autres places du nord. Ce fut partout, sous la vigoureuse impulsion de la délégation de Tours, le même désarroi, le même défaut de prévoyance. Les mesures, toujours incomplètes, n’étaient prises qu’au dernier moment, et la lutte s’engageait partout dans les plus déplorables conditions d’infériorité. La dissolution des conseils-généraux, le refus de convoquer une assemblée nationale, avaient produit dans les populations calmes et sensées du nord plus d’effet peut-être que sur les autres points de la France; elles étaient profondément attristées et découragées, et la conclusion même de l’armistice leur donna une nouvelle preuve de l’inconsistance des hommes qui s’étaient chargés des destinées du pays. Abbeville n’avait pas été prise; elle n’avait pas même été attaquée, et l’avant-garde des 30,000 hommes qui marchaient pour en faire le siège s’était arrêtée à une distance de six lieues au moment des négociations. Il était donc du droit international qu’une ligne de démarcation fût établie entre les troupes françaises et allemandes sur la base de l’uti possidetis. M. le commandant Babouin avait pris de sages dispositions pour étendre cette ligne le plus loin possible, et il avait envoyé tout de suite de