Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques exemplaires en furent envoyés aux hommes d’état et aux publicistes de l’Angleterre; ils firent une grande sensation au-delà du détroit Les journaux publièrent de nombreux articles; l’illustre Cobden félicita l’auteur, il vint même lui rendre visite, et en 1863, au moment du traité de commerce, la presse anglaise, souvent mieux renseignée que nous-mêmes sur ce qui se fait chez nous, s’empressa de rappeler Monsieur Christophe, et de citer M. de Perthes comme l’un des initiateurs les plus actifs du mouvement libre-échangiste. On peut sans doute ne point partager et condamner même les théories économiques développées dans ce livre, mais on ne saurait lui refuser le rare mérite de traiter sous une forme vive, pittoresque et souvent brillante ces redoutables questions de tarifs qui font le désespoir des commissions législatives, et ce n’est point forcer l’éloge de dire qu’il peut prendre place à côté du pamphlet célèbre de l’abbé Galiani sur la Liberté du commerce des blés, auquel Voltaire accorda de si chaleureux suffrages.

Ce n’est pas seulement dans Monsieur Christophe que M. de Perthes s’est montré précurseur. En 1833, dans un discours inséré au tome premier des Mémoires de la Société d’émulation d’Abbeville, il émettait le vœu que tous les peuples s’entendissent pour réunir dans un seul et même local tous les produits de l’industrie humaine, et montrait ce qu’il y avait de grand et de fécond dans une pareille entreprise; le discours tiré à part fut envoyé aux hommes les plus éminens de l’Europe. Cette publicité éveilla l’attention; l’idée fit son chemin, et M. Michel Chevalier, dans le rapport sur la dernière exposition universelle, a rappelé qu’un souvenir de reconnaissance était dû à M. de Perthes pour l’avoir émise le premier. L’Essai sur l’origine et la progression des êtres a été de même le point de départ d’un mouvement d’études très important et comme la préface des Antiquités celtiques et antédiluviennes, qui ont valu au nom de l’auteur une si retentissante popularité; mais ici il faut prendre garde et ne suivre M. de Perthes qu’avec une extrême prudence, car on s’exposerait souvent à voyager dans le pays des rêves en croyant voyager dans le pays de la science.

Il y avait dans M. de Perthes deux hommes entièrement différens, l’un fin observateur, conteur aimable, économiste aux vues justes et souvent profondes, l’autre fantasque, inquiet du mystère et de l’inconnu, tantôt croyant, tantôt sceptique, donnant libre carrière aux caprices les plus désordonnés de son imagination, et finissant par les accepter comme des réalités. Or c’est l’homme fantasque qui a écrit l’Essai sur l’origine des êtres, genèse bizarre où l’on rencontre, à côté de quelques pages fortes et brillantes qui rappellent Cardan et Spinoza, une zoologie digne des Bestiaires du