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Beauvarlet, les deux Depoilly, et de notre temps même MM. Bridoux et Rousseau. À cette liste s’ajoutent, sans parler des anciens, le compositeur Le Sueur, le géologue Cordier, auteur du célèbre mémoire sur le feu central et organisateur de la galerie géologique du muséum, Millevoye, et par ses origines de famille l’illustre géomètre Cauchy. Une société d’émulation, qui date du XVIIIe siècle, réunit tous les quinze jours les Abbevillois fidèles au culte des lettres et des sciences, et pendant trente ans un homme dont le nom est connu de l’Europe entière, M. Boucher de Perthes, a fait le charme de ce petit cercle, qu’il animait de sa verve intarissable, et qui recevait ses confidences littéraires. S’il n’est pas l’un des hommes les plus célèbres de la France contemporaine, M. de Perthes en est du moins l’une des figures les plus intéressantes et les plus originales. Né à Réthel en 1788, il entra fort jeune dans les douanes, où son père, botaniste distingué et correspondant de l’Institut, remplissait les fonctions de directeur. En 1825, il vint se fixer dans la ville qu’il ne devait plus quitter, et sa vie se partagea entre l’étude et l’administration. Sauf quelques lointains voyages, en Italie, en Russie ou en Orient, chacun de ses jours fut marqué aux mêmes heures par les mêmes occupations. Chaque matin, en se levant, il allait se baigner dans la Somme même par des froids de 15 degrés. Rentré chez lui à l’heure réglementaire, il s’asseyait dans son bureau de directeur, expédiait les affaires avec une ponctualité qui ne s’est jamais démentie un seul instant, et, la besogne officielle terminée, il quittait la plume du douanier pour la plume du littérateur. Son esprit éveillé sur toutes choses se portait un peu au hasard sur les sujets les plus divers; il a publié des romances, des ballades, des satires, des nouvelles, des comédies, des tragédies, des contes fantastiques, des voyages, des mémoires; mais ce n’est point là ce qui fait son originalité. Ce qui lui assure une place à part, c’est le Petit Glossaire, vive et mordante critique du béotisme de certains fonctionnaires et des abus administratifs qui survivent à tous les changemens de gouvernement; c’est l’Opinion de M. Christophe, vigneron, sur la liberté du commerce, c’est l’Essai sur l’origine et la progression des êtres. Ces divers écrits, publiés à Abbeville, mis en dépôt dans les librairies parisiennes spécialement affectées aux livres de province, sont passés à peu près inaperçus au moment de leur publication; mais les petits journaux se sont emparés du Glossaire, ils en ont reproduit une foule d’articles, sans citer l’auteur, qui n’a jamais réclamé, et chacun se disait en les lisant : On a vraiment bien de l’esprit en France. L’Opinion de M. Christophe est l’un des premiers manifestes qui aient paru chez nous contre le système prohibitif.