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l’élément civil et radical vînt toujours, comme après Coulmiers, organiser la défaite. Les troupes qui avaient combattu à Villers-Bretonneux se ne plièrent sur Arras, Lille, Douai, Saint-Omer, Cambrai, Béthune, dans un état de dénûment qui vous fendait le cœur. Une foule de soldats avaient à peine quelques lambeaux de souliers ; d’autres n’avaient point de chemises, quelques-uns montraient leurs fusils dont les cheminées imparfaitement percées ne pouvaient faire feu, car on n’avait pas même laissé le temps au général Farre de compléter l’armement ; quelques petits détachemens se dirigèrent sur Abbeville, où lonn vit arriver en bon ordre et tout prêts à recommencer la lutte les francs-tireurs de M. de Lameth, qui se signalèrent pendant la campagne par leur courage et leur discipline, et firent éprouver à l’ennemi des pertes sensibles.

On n’avait plus désormais à se faire d’illusions sur le résultat final de la guerre dans la région du nord. Les Allemands étaient maîtres d’Amiens et de la ligne de Rouen. Aux nouveaux efforts qui devaient être tentés contre eux, ils pouvaient opposer des forces énormes, qu’il leur était facile d’augmenter à tout instant par des troupes tirées de Paris et de la Normandie ; mais ceux qui avaient proclamé la guerre à outrance tenaient peu de compte de la terrible réalité des faits, et M. Gambetta résolut de recommencer une lutte sans espoir. Le général Faidherbe fut appelé au commandement des débris du 22e corps. Le 5 décembre, il entra en fonctions, et par des prodiges d’activité il parvint en quinze jours à organiser, sur des bases aussi solides que le permettaient les difficultés du moment, une armée double de celle qui avait combattu à Villers-Bretonneux. Cette armée, composée de 42 bataillons d’infanterie au maximum de 550 hommes, 11 batteries et 4 escadrons, présentait un total de 27,900 combattans effectifs. Elle était appuyée par une colonne volante de 3,000 hommes, chargée de l’éclairer et de harceler l’ennemi. Trois officiers du premier mérite, MM.  Lecointe, Deroja et Du Bessol, étaient placés à la tête des divisions, et les préparatifs s’étaient faits avec tant de célérité et de prudence discrète, on était si habilement parvenu, comme la première fois, à donner le change à l’ennemi, que, malgré la proximité d’Amiens, qu’ils occupaient depuis le 28 novembre, les Prussiens ne soupçonnèrent absolument rien de ce qui se passait. Manteuffel opérait dans la Normandie sans se douter le moins du monde qu’il allait avoir sur les bras une armée résolue à faire bravement son devoir, et commandée par des chefs qui sauraient prouver que les grandes traditions militaires n’étaient point perdues en France.

Pour le général Faidherbe comme pour le général Bourbaki, la