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de vie, » et sa plus grande préoccupation était de mobiliser. Cependant, quoique ses sympathies pour les officiers de l’armée régulière fussent très problématiques, il avait eu le bon esprit de confier à M. le colonel du génie Farre le soin de faire confectionner les objets d’armement et d’équipement qui faisaient absolument défaut. Le colonel se mit à l’œuvre avec un infatigable dévoûment. Tandis que M. Testelin prenait des arrêtés, faisait des circulaires, il fit des armes, et, quand le général Bourbaki arriva le 22 octobre pour prendre le commandement de la cohue qu’on désignait sous le nom de 22e corps, il put donner à une partie des troupes autre chose que des fusils de rebut et des fusils de pacotille qui se trouvaient hors de service aux premiers coups de feu.

Il faut avoir visité les départemens du nord et recueilli sur place le témoignage des habitans pour se faire d’une part une idée du talent d’organisation et de l’activité du général Bourbaki, et de l’autre des embarras que lui suscitèrent les meneurs du parti radical, et de l’indigne conduite que ce parti tint à son égard. Malgré la proclamation par laquelle il avait adhéré à la nouvelle forme du gouvernement, on l’accusait d’arriver avec des idées hostiles à la république, de « manquer de confiance dans l’efficacité de la prolongation de la résistance. » A son passage à Douai, la population couvrit sa voiture de boue; elle l’accabla des injures les plus grossières, et certains journaux ne cessèrent de s’acharner contre lui et de le signaler à la haine des radicaux; mais le général s’éleva au-dessus de ces misères. En un mois, malgré son isolement du reste de la France, il réussit à constituer une petite armée avec les élémens incohérens qu’il avait sous la main et à la plier à l’obéissance. Le 18 novembre, trois brigades mixtes étaient organisées: elles comptaient chacune quatre bataillons de troupes de ligne et trois bataillons de mobiles formant un effectif de 5,000 hommes environ, deux compagnies du génie, deux escadrons de gendarmes, deux escadrons de dragons, un parc de six voitures, soit en tout 15,300 hommes d’infanterie, 350 hommes de cavalerie et 54 pièces de campagne. Les soldats de la ligne étaient en grande partie habillés; mais il leur manquait des marmites, des bidons, et, ce qui était plus essentiel encore, des souliers. Le petit nombre de ceux qui leur avaient été distribués étaient si mauvais qu’après deux ou trois jours de marche ils ne pouvaient manquer d’être mis hors de service, ce qui arriva en effet et leur valut dans le nord le nom de souliers de carton sous lequel ils sont devenus légendaires. Quant aux mobiles, ils manquaient de tout, principalement ceux du Gard, qui à cause de l’éloignement de leurs dépôts n’avaient rien reçu. Pendant que dès le 8 octobre le général Man-