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porté depuis à un excès ridicule. Au reste, pourquoi tant médire d’imperfections qui ont été plus ou moins le fait de toutes les nations indo-européennes à une certaine date de leur premier développement? Ne retrouve-t-on pas le combat singulier en Grèce et à Rome, et les épreuves judiciaires dans Sophocle? L’évidente parenté du génie germanique avec celui de Rome ou de la Grèce rend probable une certaine conformité d’aptitudes entre eux, et tourne ainsi contre la thèse qui combat les influences renouvelées de la race.

En résumé, l’élément germanique a contribué avec Rome et le christianisme à la formation des sociétés modernes, et la France ne fait pas exception à cet égard. En Orient, où le germanisme a fait défaut, on a eu le byzantinisme. Il n’est pas déraisonnable de croire qu’une étude attentive puisse retrouver dans notre civilisation certains traits juridiques, littéraires, moraux, politiques, relevant du génie barbare. On est autorisé à penser ainsi avant tout examen, quand on se représente le grand essor qu’ont pris les nations restées essentiellement germaniques, particulièrement les nations anglo-saxonnes. Comment croire que des tribus de cette même race, là où elles ont été mêlées à d’autres peuples, soient devenues inertes ou aient été aisément annulées? Il était trop commode à l’abbé Dubos d’imaginer au profit de sa thèse des barbares sans passé, sans instincts propres, sans aucun lien effectif de race ou de traditions, bons tout au plus à devenir des manœuvres ou des soldats entre les mains et au service de Rome. Montesquieu était en droit d’élargir la question ainsi mal posée. Lui qui, après avoir réfléchi sur l’essence des lois politiques et sociales, poursuivait l’application des principes généraux à l’histoire des origines de l’Europe moderne, il ne fit pas difficulté d’admettre comme un élément principal dans un si vaste tableau l’intervention des peuples germaniques. Il les étudia surtout en France, non pas seulement par une vue de patriotisme, mais parce que notre sol, grâce à des rais)ns diverses, a été la vraie terre d’alluvion où se sont réunies toutes les principales sources de la civilisation occidentale. Quiconque voudrait nier dans l’histoire générale les influences de race risquerait de nier en même temps l’initiative des différens génies et, pour tout dire, la liberté en même temps que la solidarité humaine. Quiconque ne verrait dans cette diversité qu’un motif d’antagonisme, de division et de haine fermerait les yeux au progrès des plus grands peuples, et en particulier à tout le patient et bienfaisant travail de la civilisation française.


A. GEFFROY.