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tion de tout ce qui pourrait les éclairer ; mais, avant de venir au tribunal, ils peuvent avoir fait pour eux-mêmes une sorte d’enquête, il leur est interdit de se préoccuper des conséquences légales de l’avis qu’ils croiront devoir émettre. Il y a en troisième lieu, après les témoins et les quidr, les domendr ou juges, qui ne sont pas, en dépit de leur nom, des magistrats, mais de simples citoyens, eux aussi, désignés par le chef administratif, représentant de la société et président de l’Althing. Des légistes sont en outre consultés, qui révèlent les formules et les moyens de droit. La sentence des domendr, nommés par te président de l’assemblée, prime celle des quidr, assignés par les parties. Ne trouvons-nous pas dans une telle organisation les divers élémens du jury moderne, quoique mal définis et épars ? Les témoins proprement dits, ceux que nous avons mentionnés d’abord, auront été remplacés plus tard, quand l’écriture sera devenue d’un usage familier, par les actes authentiques et publics ; les quidr, qui n’étaient ici qu’un simple jury d’examen,, seront devenus les témoins proprement dits ; les domendr enfin, vrai jury de jugement, seront devenus les jurés. Les légistes se seront retrouvés dans les avocats. Peut-être la transformation et La fusion de ces divers élémens ne se seront-elles accomplies pour la première fois que sur le sol de l’Angleterre, où les invasions anglo-saxonne, danoise, normande, les auront successivement portés.

On croit triompher quand on reconnaît, comme fait M. Guérard, Pour unique héritage légué par l’invasion germanique au moyen âge ou à la société moderne, l’usage des épreuves judiciaires et la funeste coutume du duel. Certes il n’y a lieu de beaucoup vanter ni l’un ni l’autre. Toutefois de sincères sentimens ont primitivement donné naissance à de telles coutumes ; l’église a cru pouvoir adopter ce qu’elle appelait les jugemens de Dieu, et, comme Montesquieu l’a dit, les lois étaient, en ce cas, d’accord avec les mœurs. Le duel n’était pas, chez les anciens Germains, un pur et simple abus de la force ; au contraire il apportait une sorte de restriction aux guerres privées, et représentait donc un certain progrès. C’était une véritable épreuve, empreinte d’un caractère religieux. En Irlande, suivant le récit des sagas, on amenait près du champ-clos une victime que le vainqueur immolait en l’honneur d’une divinité spéciale. Les limites du champ-clos étaient marquées par des pieux dont les extrémités supérieures figuraient les têtes des dieux, et tous les apprêts du combat se conformaient à un rite consacré. Le duel ne nous apparaît, ce semble, rehaussé du point d’honneur que dans les temps plus modernes, et nous ne nous rendrions pas aussi sûr que Montesquieu de l’origine toute germanique de ce dernier trait,