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torique dont ils ont assez prouvé, qu’ils ne sauraient manquer, mais que semble pourtant contrarier et blesser une conclusion si extrême. Quoi! une phase de l’histoire si considérable, à l’entière évolution de laquelle, si nous nous rappelons les périodes diverses que nous avons distinguées, neuf ou dix siècles ont à peine suffi, se serait accomplie sans aucun profit pour l’humanité! Quoi! une race dont l’identité pendant un si long temps n’est pas un moment contestable, une race de laquelle, en dehors même de ces vastes limites chronologiques, on ne saurait affirmer sûrement qu’elle n’a pas d’aïeux à revendiquer parmi le-vastes populations des Scythes et des Gètes[1], et de qui relèvent visiblement dans les temps modernes plusieurs très grands peuples et une portion de nous-mêmes, aurait été incapable de servir la cause de la civilisation ! Est-il donc donné à ces forces aveugles, la durée inféconde et l’agitation stérile, de réclamer jamais une telle place dans le champ de l’histoire ? Nous voyons agir la sève puissante du rameau anglo-saxon, et nous devrions croire le tronc de l’arbre inerte dès sa jeunesse! Comment concilier de telles anomalies?

On essaie de les expliquer. On dit par exemple que les envahisseurs étaient en somme peu nombreux, et de plus que c’étaient des bandes séparées du sol natal, en ayant oublié les traditions et les coutumes, de sorte qu’à supposer que l’ancienne Germanie eût eu des institutions, ces enfans perdus n’en étaient plus les dépositaires. — Pour ce qui est du nombre, qu’en sait-on? Est-ce de l’armée générale de l’invasion qu’on entend parler? Non sans doute, car les chiffres des historiens contemporains seraient plutôt récusés, comme grossis par la peur. S’il s’agit seulement de la Gaule, fera-t-on si peu de cas de l’invasion de 406? Pour avoir franchi le Rhin sur une ligne étendue, pour avoir parcouru après la Gaule l’Espagne, pour être parvenus, une partie d’entre eux, jusqu’en Afrique, pour avoir accompli ces énormes courses non pas comme la pierre qui roule, mais comme la vague, qui laisse quelque chose de son écume et de ses eaux sur son passage, et frappe encore de grands coups à son point d’arrivée, il faut bien que ces trois peuples, Suèves, Mains, Vandales, aient été non pas une troupe de quelques centaines d’hommes, mais les vrais héritiers des Teutons et des Cimbres. S’il s’agit uniquement et en particulier des barbares destinés à faire établissement dans notre Gaule, oubliera-t-on l’appoint de ceux qui, depuis longtemps déjà, servaient dans l’empire? Assurément ils n’auront pas manqué de se joindre à leurs frères, avec plus de raison encore que ce rusé paysan des environs de

  1. Pline l’Ancien dit que les historiens de l’antiquité appelaient Scythes les Germains.