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Visîgoths et des Burgundes ; mais peut-être y eut-il ici quelque chose de pire. C’est le cas assurément, nous l’avons vu, pour le nord-est de la Gaule. Quant au centre, il faut remarquer que les rois mérovingiens apparaissent immédiatement comme ayant en main une portion considérable de la propriété foncière. C’étaient, dit-on, les terres de l’ancien fisc impérial dont ils disposaient, de sorte qu’il leur fut aisé de récompenser leurs fidèles sans toucher aux propriétés des Gallo-Romains. Soit ; mais ne doit-on pas noter que, pendant le passage d’une domination à l’autre, le fisc a dû engloutir, au détriment des possesseurs romains, une grande quantité de ces mêmes terres que nous voyons ensuite distribuer libéralement aux leudes germaniques ? Thierry, fils de Clovis, apprend que, sur le faux bruit de sa mort, quelques citoyens d’Auvergne ont invité le-roi Childebert à venir prendre possession de la province à son détriment. Il se met immédiatement en route avec ses soldats, à qui d’avance il a promis le pillage, et, comme en pays ennemi, il ravage et détruit, dépouille les habitans sans distinction, entraîne après lui de nombreux prisonniers destinés à l’esclavage, et ne laisse, dit Grégoire de Tours, que la terre nue qu’il ne peut emporter. Cette terre qui subsiste rentrera-t-elle aux mains de ses possesseurs ? Non ; abandonnée par suite de la guerre, elle devient propriété du fisc royal. Le fisc, d’après les règles instituées par les Romains eux-mêmes, et que les nouveaux maîtres se gardent d’abolir, absorbe les biens en déshérence, les terres confisquées ou restées désertes. Quand nous lisons dans les Vies des saints leurs visites et quelquefois leurs établissemens dans ce qu’ils appellent des déserts, ces lieux font toujours partie du fisc royal ; ces solitudes, elles étaient naguère encore habitées : la civilisation romaine et la propriété privée en ont promptement disparu pendant les ravages de l’invasion : elles ont été la proie des vainqueurs.

Pourquoi au reste les barbares se seraient-ils abstenus de spoliations dont Rome elle-même avait sans cesse jadis donné l’exemple, et pourquoi ceux qui ne veulent voir dans ces Germains du Ve siècle que des auxiliaires de l’empire, devenus de gré à gré ses successeurs, s’étonneraient-ils de les voir imiter et continuer aux dépens des Romains les traditions romaines ? L’ancienne Rome n’expropriait pas seulement ses vaincus, dont le territoire (Appien nous l’apprend dans une page célèbre) était partagé en trois portions pour être vendu au profit du trésor public, ou donné aux pauvres citoyens, ou affermé à titre d’ager publicus ; elle ne respectait pas beaucoup plus ses propres sujets, quand elle avait à pourvoir par exemple ses légionnaires licenciés. De malheureuses villes, même italiennes, étaient livrées en proie aux colonies de vétérans, et Auguste se vante d’avoir le premier stipulé en faveur des propriétaires quelques indemnités.