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leurs succès : ils ne régnaient que par sa délégation et sous sa suzeraineté. Il y a, croyons-nous, deux réponses à faire. D’abord la fameuse lettre de saint Rémi, par laquelle Dubos a voulu prouver que Clovis était, dès son avènement, maître de la milice, nous est suspecte, au moins pour sa date. L’essai de restitution qu’en a tenté naguère M. Huillard-Bréholles est trop hardi. On comprend mal que l’évêque parle au jeune chef païen de ses prêtres, sacerdotibus tuis; plusieurs croient cette pièce, si elle est authentique, adressée à un fils de Clovis. De plus ces titres conférés par l’empire étaient bien loin de lui être des gages assurés d’obéissance. Nous savons bien que les rois barbares en étaient avides; il en avait été toujours de la sorte depuis Arioviste, à qui Jules César, pendant l’année de son consulat, cinq cents ans plus tôt, avait fait conférer le titre de « roi ami du peuple romain. » On trouve sur les médailles des petits rois du Bosphore, contemporains d’Auguste et de Tibère, la représentation des insignes consulaires que le sénat leur avait décernés : une couronne sur une chaise curule entre une lance accompagnée d’un bouclier et d’un sceptre consulaire. C’est un pareil honneur que l’empereur de Byzance, fidèle aux anciennes traditions romaines, accordait en 509 à Clovis. Ce chef franc revêtit dans l’église de Saint-Martin de Tours la tunique de pourpre et la chlamyde; il ceignit le diadème et se rendit à cheval vers la cathédrale, au milieu d’un peuple qui l’acclamait et auquel il jetait des pièces d’argent et d’or. On peut voir dans la joie qui l’anime un sentiment de vanité personnelle ou bien un reflet du prestige que Rome exerçait sur l’esprit des barbares; mais il y avait moins de naïveté sans doute que de calcul et de politique habile, soit pour en imposer par ces honneurs à ses guerriers francs, soit pour se faire accepter des Gallo-Romains en se donnant comme le délégué de l’autorité légitime, sauf à soutenir ses prétentions par les armes. On comprend très bien ce qu’y pouvaient gagner ces chefs germains; à les supposer cependant privés de ces faveurs suprêmes, on ne voit pas que les choses eussent dû suivre un autre cours, et, quant aux empereurs, il faut remarquer que s’ils conféraient ces titres, le plus souvent accompagnés de missions militaires, c’était presque toujours pour susciter contre quelque ennemi barbare qui les serrait de près un autre chef barbare intéressé à paraître les servir. Nulle de ces combinaisons ne contredit le fait d’une conquête germanique.

Ne retrouverons-nous pas du reste chez les Francs aussi la dépossession du sol au détriment des vaincus? Il est vrai qu’aucun témoignage précis n’affirme qu’il y ait eu à la suite des victoires de Clovis un partage des terres comme après l’établissement des