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de Dubos à la brutale simplicité des faits? Cela n’empêche pas d’ailleurs que Julien lui-même n’ait traité avec certaines tribus des Francs et n’ait tâché de les opposer, en achetant leur concours, au reste des envahisseurs. Il faut lire dans le chroniqueur byzantin Zosime le curieux récit de l’habile tactique par laquelle il savait se servir des barbares contre les barbares. Il y avait un Germain Charietto, renommé pour sa grande taille et sa force prodigieuse, et redouté pour ses actes de brigandage; las d’une telle vie sans doute, il vint s’établir à Trêves. Témoin, dans cette grande ville, des maux qu’y produisaient des incursions auxquelles hier encore il prenait part, il résolut de s’y opposer désormais et de les punir. Comme les pillards d’au-delà du Rhin se partageaient en petites troupes pour accomplir leurs dévastations pendant la nuit, et se réfugiaient le jour au fond des bois voisins de la frontière, où les soldats romains n’osaient pénétrer pour les atteindre, Charietto réunit quelques braves, se glissa dans ces bois, et, répandant autour de lui la terreur, fit de nombreux prisonniers auxquels invariablement il coupait la tête. Il envoyait ces trophées à Julien, qui les lui payait. Bientôt même Julien parvint à lui recruter, parmi les Francs-Saliens, une petite armée. Les fuyards qui échappaient à Charietto tombaient dans les rangs des troupes régulières, échelonnées sur la lisière des bois. Julien parvint de la sorte à procurer quelque sécurité au nord-est de la Gaule, et Charietto fut admis avec un grade assez élevé dans l’armée romaine. Voilà au vif l’histoire de ces temps, voilà ce qu’était la lutte sur les frontières, et souvent aussi dans l’intérieur, le long des fleuves infestés de pirates, et aux environs des cantonnemens barbares. Julien confia aux Francs le passage du Rhin, et ils firent assez bonne garde en effet pendant quelque temps; on les vit, durant le dernier tiers du IVe siècle, seconder les armées qui revendiquaient l’intégrité de l’empire. Ils prenaient à la conservation de l’édifice une part désormais intéressée; bientôt ils se joignaient eux-mêmes au mouvement de la conquête, s’avançant par sûres étapes, et laissant derrière eux les traces pour longtemps visibles de leur occupation ou de leur passage. L’évêque saint Waast, en l’année 500, ne trouve pas de chrétiens dans Arras. Du pays de Gand et de celui de Tournai il est dit, dans la vie de saint Amand, qu’au milieu du VIIe siècle les anciens habitans y avaient abandonné le culte du vrai Dieu pour adorer les arbres et les pierres. Les dernières traces du paganisme ne disparurent du Brabant et de la région des Ardennes qu’au milieu du VIIIe siècle. Or l’effacement ou le retard du christianisme dans cette région de la Gaule, couverte jadis de florissantes villes romaines, et devenue au temps des Antonins le centre d’un riche commerce