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moyens d’amener la municipalité de Versailles à faire des approvisionnemens considérables, c’est-à-dire qu’on voulait se servir d’elle pour tirer des vivres de l’intérieur de la France, et naturellement la municipalité de Versailles faisait la sourde oreille. On avait parfois les plus vives inquiétudes au camp allemand, et le major Blume lui-même le dit : « Aussitôt qu’un à-coup se produisait dans le service, — et il était souvent impossible d’éviter qu’il en fût ainsi, — les expéditions se trouvaient inférieures aux demandes. Si en regard de cela on se représente l’énormité des besoins en ravitaillemens de toute espèce, on comprendra sans peine que fréquemment on se trouvât hors d’état d’expédier les objets même les plus nécessaires… »

Là était le point faible de cette machine de l’investissement à la fois puissante et fragile. Les Prussiens le sentaient si bien qu’au moindre accident ils déployaient la plus impitoyable rigueur : témoin le sort infligé au petit village de Fontenoy-sur-Moselle, à la suite de la rupture d’un pont ; on incendiait le village, on frappait la Lorraine d’une contribution de 10 millions de francs, et on menaçait de fusiller sur place les ouvriers de Nancy qui ne voudraient pas se rendre au travail pour la réparation du pont. Une simple interruption de quelques jours suffisait en effet pour réduire aux abois l’armée allemande devant Paris, pour l’exposer à n’avoir plus de quoi vivre ni de quoi poursuivre le siège. Évidemment, si ce n’était pas facile de déterminer ces interruptions, ce n’était pas impossible, et les organisateurs de la défense en province auraient pu s’en préoccuper plus sérieusement ; ils auraient dû comprendre qu’il y avait plusieurs manières de secourir Paris, et que la plus efficace n’était pas peut-être de mettre de grandes armées en bataille. M. Gambetta, au lieu de chicaner le général Trochu sur ses plans, sur la force ou la faiblesse des lignes d’investissement, sur tout ce qu’il ne savait pas, aurait bien mieux fait d’organiser cette guerre où était peut-être le salut de Paris. Si ce fut essayé, on l’essaya isolément, sans suite et presque sans secours du gouvernement. On préférait les grandes combinaisons, qui ne menaçaient l’investissement que de bien loin, et il en résultait que, le jour où les armées qu’on envoyait pour nous délivrer se voyaient rejetées loin de nous, Paris était définitivement abandonné à lui-même, selon l’aveu du général Trochu ; mais dans cet abandon même il lui restait à combattre jusqu’au bout, à tirer son dernier coup de canon, à manger son dernier morceau de pain, à épuiser en un mot ses dernières misères, après avoir entrevu presque la délivrance à Champigny et à Villiers.


Charles de Mazade.