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n’était-elle pas l’expression plus ou moins saisissable de cette disposition nouvelle à une négociation, qu’on pouvait accepter désormais sans faiblesse après les affaires de Champigny ?

On avait beau dire, le gouverneur de Paris restait inébranlable. Là où d’autres voyaient un signe de paix, il voyait, lui, un piège ou une bravade. Il avait une préoccupation qui pouvait être un peu personnelle ; « ces gens-là se moquent de moi, disait-il, ils veulent me compromettre comme ils ont compromis Bazaine. » Voilà son idée fixe ; mais ce n’était pas sa seule pensée. La vérité est qu’il avait le sentiment très haut de l’honneur de Paris, dont il était la première sentinelle, et ici peut-être, au moment décisif, se dévoilait dans ce qu’il avait de plus dramatique ce conflit de devoirs différées qui se partageaient l’âme du général Trochu, qui compliquaient si singulièrement sa situation. Si le général Trochu n’eût été qu’un politique, un chef de gouvernement, il aurait sans doute compris comme d’autres la lettre du comte de Moltke, il y aurait cherché les élémens, la possibilité d’une négociation désirable. Le chef militaire ne voyait et ne pouvait voir que la défense de Paris, dont il restait chargé, qu’il était loin de considérer comme épuisée, et à ses yeux la communication du chef de l’état-major allemand n’était qu’une arrogance déguisée qu’on devait repousser. — Qui avait tort ? qui avait raison ? Franchement, tout bien pesé, le général Trochu n’avait peut-être pas tort. Que la lettre de M. de Moltke cachât une intention vague de négociation, et même qu’à ce moment le roi de Prusse eût fait au gouverneur de Paris des conditions honorables, c’est possible ; mais c’était toujours la reddition. Le ministre de la guerre disait le mot dans une délibération du gouvernement : « c’est la première sommation adressée à Paris pour se rendre… » Or cette sommation, elle ne pouvait pas même être écoutée par le gouverneur d’une place qui avait encore six semaines de vivres. Qu’on dût triompher ou succomber, le devoir était de tenir jusqu’au bout, jusqu’au dernier coup de canon. Le général Trochu ne voyait rien de plus, et à la lettre de M. de Moltke il répondait fièrement par un refus qu’il ne pouvait guère éviter, mais qui lui coupait toute retraite, qui le condamnait à une lutte désespérée où il ne retrouverait plus jamais les mêmes chances pour négocier ou pour combattre.

C’est en cela que cet incident de la lettre de M. de Moltke et du vif, du patriotique refus du général Trochu marque une heure décisive du siège, l’heure où la voie des négociations se ferme et où les difficultés de la lutte s’accroissent nécessairement, l’heure dramatique et sombre où il devient plus que jamais douteux pour Paris si les secours extérieurs pourront arriver jusqu’à lui, et si lui-même il pourra renouveler les efforts qu’il vient de faire. Cependant la