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encore à gagner, ne fût-ce que vingt-quatre heures, pour réunir des forces nouvelles. C’est ainsi que, par des raisons différentes, le 1er décembre devenait une journée de trêve tacite qu’on passait d’abord à ensevelir les morts, ensuite à se reconnaître et à se refaire dans les deux camps. Le général Ducrot n’avait pas quitté le champ de bataille sans donner ses premiers ordres. On devait préparer des épaulemens pour l’artillerie, ouvrir sur tous les revers de Villiers des tranchées pour l’infanterie se reliant au « four à chaux, » à Champigny, — organiser la défense de Champigny même. Les Allemands, quant à eux, n’avaient pas perdu un instant pour appeler le XIIe corps saxon tout entier, le IIe corps prussien sous le général Fransecki, sans compter la brigade du VIe corps, détachée dans l’après-midi du 30 sur la rive droite de la Seine. Toutes ces forces, avec les Wurtembergeois eux-mêmes, restaient à la disposition du prince de Saxe pour une lutte qui n’était évidemment que suspendue. La question était de savoir d’où viendrait l’attaque, comment cette lutte allait se rallumer. On ne l’attendait peut-être pas si tôt au camp français. Avant que vingt-quatre heures fussent écoulées, elle se renouvelait plus violemment encore que le 30 novembre, et, chose triste, elle commençait par une surprise, au moins sur une partie de nos lignes, où une fois de plus on était tout près de payer cher un défaut de vigilance.

Le 2 décembre au matin, subitement, brusquement, l’ennemi massé sur les hauteurs se jetait sur toutes nos positions de Brie à Champigny, et un instant cette irruption soudaine produisait parmi nos jeunes troupes fatiguées et émues une véritable panique qui aurait pu devenir désastreuse. Le grand-prévôt de l’armée, le commandant Lambert, n’avait que le temps de se jeter aux ponts de la Marne pour arrêter le torrent des fuyards. Le général Ducrot, établi à la ferme de Poulangis, dans la petite plaine de Joinville, accourait au bruit de la fusillade, et, saisissant la situation, il prenait immédiatement ses mesures pour raffermir la résistance d’abord, puis pour la soutenir. Sa première pensée était d’appeler à lui la division de Bellemare, qui avait repassé la rivière depuis la veille, et la division Susbielle, qui était restée à Créteil. En même temps, il faisait demander au général Clément Thomas d’amener devant Nogent, le long de la Marne, une certaine masse de garde nationale mobilisée, comme une réserve dont on pourrait se servir au besoin, et qui dans tous les cas présenterait à l’ennemi un assez sérieux déploiement de forces. En attendant, il fallait tenir tête à l’orage, il fallait arrêter le débordement prussien qui était arrivé sur nous à l’improviste.

Dès le point du jour, la lutte s’était engagée partout de la manière la plus violente, la plus acharnée ; heureusement elle n’offrait