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tion où les radicaux n’ont pas manqué de voir un abandon du principe révolutionnaire, une déplorable concession faite aux circonstances, aux passions cléricales de l’assemblée.

De toutes les questions qui peuvent surgir, celle-là est certainement la plus significative, la plus grave, et une des plus dangereuses ; tout ce qui touche à la liberté de conscience, à la liberté de la pensée, est grave et périlleux en France, et pourquoi cette affaire a-t-elle pris tout à coup une importance particulière qu’elle n’aurait pas eue peut-être il y a quelque temps ? Parce qu’on croit que le ministère a ses engagemens et qu’il peut avoir ses entraînemens, parce qu’on craint qu’il ne tombe du côté où il penche, parce qu’on voit s’agiter autour de lui, pour essayer de le dominer ou pour lui faire acheter un appui compromettant, des amis qui semblent ne se faire aucune idée de leur siècle et de leur pays. De là cette disposition à s’inquiéter de tout, à épier les moindres symptômes, à voir dans des actes qui peuvent n’être que des mesures de précaution nécessaire le prélude et le signe de toute une politique. On s’est exagéré, nous n’en doutons pas, la signification de l’arrêté de M. le préfet de Lyon. D’abord, cela est bien clair et on l’a du reste déclaré, cette réglementation ne peut procéder d’une préférence confessionnelle, elle ne s’applique pas aux différens cultes reconnus ou non reconnus par l’état qui se partagent la France. De plus l’acte préfectoral ne dépasse pas la portée d’une mesure de police adoptée pour maintenir la paix des rues, pour empêcher des rencontres de convois funèbres qui pourraient devenir pénibles et peut-être quelquefois périlleuses. Jusque-là, il n’y a trop rien à dire ; le seul point assez singulier et même peu expliqué dans l’arrêté de M. le préfet du Rhône, c’est cette espèce de déclaration de foi religieuse qui doit suivre la déclaration de mort. Il est bien certain qu’il y a là une particularité assez étrange, une obligation qu’aucune loi n’a prévue, et ce n’est pas la justifier complètement de dire qu’elle date de loin, qu’elle n’a jamais été abrogée depuis qu’elle a été établie au commencement du second empire. C’est là l’inconvénient des mesures de ce genre. Non sans doute, elles ne sont pas la menace d’une résurrection théocratique ni le commencement d’un retour au temps où l’édit de Nantes venait d’être révoqué ; elles ne sont pas une atteinte directe à un principe qui aujourd’hui en France est au-dessus de tous les principes, celui de la liberté de conscience ; mais, si l’on nous passe le mot, elles rôdent autour de ce principe, elles le circonviennent, elles l’entament quelquefois, et en paraissant se borner à des prévoyances de police, elles font quelque trouée dans ce domaine inviolable. Voilà le danger contre lequel le ministère peut avoir à se prémunir. Il a besoin de rassembler toute sa bonne volonté et sa force pour se retenir dans une voie où, après l’avoir amené à faire un pas, on le conduirait plus loin qu’il ne peut et qu’il ne veut sans doute aller. Il a des alliés qui n’hésiteraient pas à entreprendre sur