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parce que cette transformation, qui aurait pu si aisément devenir une aventure, n’a été en définitive que l’acte régulier d’une majorité parlementaire, et a su même se rattacher d’assez près à ce qui existait la veille pour ne ressembler ni à une révolution ni à un coup d’état, parce que le nouveau président de la république, avec un nom fait pour inspirer le respect, est en quelque sorte une garantie vivante d’ordre intérieur, et pour le reste on s’est dit que ce qu’il y avait de mieux à faire était d’attendre à l’œuvre cette politique conservatrice que le régime naissant prétendait inaugurer.

Ce qui n’est point douteux, c’est qu’il n’y a eu aucune de ces alarmes ou de ces résistances d’opinion qu’on croyait possibles ; il y a eu plutôt une certaine détente des esprits dont le gouvernement nouveau a naturellement profité, et le signe le plus sensible de cet apaisement inattendu qui s’est manifesté non pas dans les polémiques et dans le langage des partis, mais dans les faits, dans la réalité, c’est ce phénomène singulier qu’on a vu se produire dans les débats parlementaires de Versailles. Il y a un mois, le ministère naît avec 14 voix de majorité pour tout appoint ; peu de jours après survient cette mauvaise, cette maussade affaire de la circulaire sur la presse, et il a malgré tout une majorité de plus de 60 voix. Bientôt s’élève la question des poursuites intentées contre M. Ranc pour sa participation à la commune, et la majorité est de 300 voix. Enfin, il y a quelques jours à peine, une interpellation des plus sérieuses se produit sur ce qu’il y a au monde de plus délicat, sur une affaire intéressant la liberté de conscience, en d’autres termes sur des mesures de police prises à l’égard des enterremens civils, et cette fois la majorité est encore de près de 200 voix. Que signifie cette progression singulière, si ce n’est que la situation actuelle est acceptée par beaucoup de ceux-là mêmes qui ne l’auraient point créée, s’ils avaient pu l’éviter ? Il n’y a évidemment aucun parti-pris. La politique conservatrice, puisqu’ainsi on la nomme, ne rencontre point de difficultés insurmontables, à une condition pourtant, c’est que sous prétexte d’obéir à de faux engagemens, par entraînement de combat et de réaction, elle n’aille pas trop souvent se jeter sur des questions qui créeraient bientôt une sorte de fatal engrenage où elle disparaîtrait en laissant la situation du pays bien plus compromise qu’elle ne l’était auparavant.

Le ministère est dans cette condition étrange et difficile où certaines questions, qui peuvent quelquefois être des pièges, doivent nécessairement venir le tenter. C’est la fatalité de la mission qu’il s’est donnée. Il est de ces questions qu’il ne peut guère éviter, et de ce nombre était peut-être celle des poursuites contre M. Ranc, qui a été tout récemment tranchée par l’assemblée. M. Ranc, aujourd’hui membre du conseil municipal de Paris, député élu du Rhône, a été en 1871 membre de la commune. Il s’est séparé à temps, c’est-à-dire aux premiers jours d’avril 1817, de la sinistre cohue des incendiaires de Paris ; il est cependant resté assez