gons de Villars. La nuit, les pauvres domestiques se glissaient comme des ombres dans le jardin, portant à leurs familles, qui les attendaient dans les angoisses et les larmes, de grandes terrines pleines de soupe et d’autres provisions. Quelques jours leur suffirent pour s’assurer que les Français « ne faisaient de mal à personne. » C’était dans les couvens surtout que les vieilles religieuses tremblaient pour la vertu de leurs jeunes sœurs. Ces dernières ne leur rendaient pas la tâche facile. Partagées entre la terreur et la curiosité, elles se pressaient aux fenêtres des cellules où on les avait enfermées, ou grimpaient sur les toits pour apercevoir les uniformes et les épaulettes. Écoutons la confession d’une jeune curieuse de 1812, aujourd’hui l’octogénaire Antonine. « On nous avait toutes entassées dans la même chambre, et par les petites fenêtres nous voyions les trois officiers passer et repasser avec notre aumônier, notre trésorière et deux vieilles religieuses. Puis ils allèrent de l’autre côté de l’église ; là on ne pouvait vraiment plus les voir. Nous fûmes prises d’une envie démesurée de regarder ce qu’ils faisaient là ; on se décide à sortir et à regarder. Nous ouvrons la porte, nous nous avançons à la queue-au-loup, l’une derrière l’autre. Une des vieilles nous aperçoit et court à nous. C’était une bonne personne, mais comme elle était grondeuse ! — Où allez-vous ? s’écrie-t-elle. Voulez-vous bien rentrer ! Et tout de suite ! Ah ! vous êtes friandes de regarder les militaires ? Voyez les effrontées ! voyez comme elles ont le teint allumé ! Vous devriez plutôt être pâles d’épouvante ! — Nous lui répondons : — Permettez, Axinia Nikitichna ! comment ne pas avoir les joues rouges ? Nous sommes serrées comme des harengs dans une caque. On ne peut vraiment plus respirer. Quand on trépasserait, on ne pourrait pâlir ici. — Mais elle nous rabroua encore plus, et nous enferma de nouveau dans la cellule. »
On inventait toute sorte de stratagèmes pour dérober aux regards profanes les minois des jeunes novices. Le Français, né malin, n’avait garde de s’y laisser prendre. Tantôt on essayait de les dissimuler dans quelque coin. « Au commencement, raconte l’une d’elles, nous les fuyions. Les jeunes surtout se cachaient d’eux. Nous étions une fois trois novices avec la trésorière Sara Nikolaévna, et, comme nous regardions par la fenêtre, nous vîmes le capitaine qui demeurait chez nous se diriger de notre côté… Ordinairement, quand il venait, nous toutes, les jeunes, nous nous cachions n’importe où ; mais cette fois pas moyen de s’enfuir… Sara Nikolaévna enleva aussitôt une planche du plancher ; il y avait là un caveau. Elle nous ordonna de nous y blottir. J’y entrai la première, une autre trouva place à la rigueur ; mais la troisième n’y put jamais entrer… Sara Nikolaévna lui mit aussitôt sur la tête son bonnet