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graves désagrémens, s’il n’y mettait ordre; mais de votre côté tâchez d’arrêter un des pillards pour l’envoyer au prévôt de l’armée, qui le fera fusiller. » Et plus d’une fois, au milieu du sac de Moscou, on entendra dire : « Eh ! laissez donc ce bourgeois!.. Ce sont pourtant ces diables de Wurtembergeois ! » Napoléon recevait aussi de fâcheux rapports sur les Bavarois; on le voit par les mémoires de Gouvion Saint-Cyr.

Les habitans des campagnes russes, en se reportant à cette terrible époque, sont naturellement disposés à charger de tous ces désordres le nom français. Pouvaient-ils distinguer entre les idiomes et les uniformes des quatorze peuples qui marchaient sous l’aigle impériale? « On ne peut dire le contraire, racontent les habitans d’un village fort maltraité par les maraudeurs, nous n’avons pas conservé d’eux un bon souvenir. Quelques-uns de ceux qui étaient restés à Moscou nous disaient que les Français étaient très bons; mais comment savoir si ceux qui nous pillaient étaient Français ou non? Pour nous, ils étaient tous des Français, et rien que des Français. » Au contraire la distinction entre les fils de la vieille Gaule et les autres soldats de la grande armée revient constamment dans les récits des citadins, qui étaient mieux en position de se renseigner. « La première fois qu’ils vinrent chez moi, raconte le petit marchand André Alexiéef, ils examinèrent la chambre et allèrent tout droit à l’image de la Protectrice. Ils lui enlevèrent son auréole et sa garniture d’argent. La mère leur fit des salutations et les pria d’épargner la sainte icône; mais eux, ils poussèrent des cris et levèrent leurs sabres sur moi quand j’essayai aussi de les fléchir. Quant à mes pauvres petites sœurs, elles furent si effrayées qu’elles se sauvèrent et allèrent se cacher dans la cour. Seulement ce n’étaient pas, ceux-là, de vrais Français. Les vrais Français, comme ils étaient bons! Lorsqu’il en venait, nous les reconnaissions tout de suite à leur parler et à leurs manières, alors nous n’avions pas peur, parce que nous savions qu’ils avaient une conscience; mais de leurs alliés, que Dieu nous garde! Nous les avions surnommés bezpardonnoe voïsko (l’armée sans pitié), parce qu’avec eux rien n’y faisait, ni prières, ni larmes; on disait même dans le peuple qu’ils étaient à l’épreuve des balles et que le diable les protégeait. Quand ce n’était pas en actions, c’était en paroles qu’ils vous outrageaient. On ne comprenait pas ce qu’ils disaient, mais on sentait bien que c’étaient des insultes. Les Français ne se permettaient jamais de ces injures gratuites. »

On trouve également dans ces récits des témoignages honorables pour les Polonais, notamment pour un de leurs chefs qu’ils appelaient Zader, et qui logea au Diévitchi monastir. C’était, au dire des religieuses, « un homme qui craignait le péché, » et