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latérale et ressemblait à l’entrée d’une cave; la herse qui la défendait ne touchait pas terre afin de ne point arrêter les grosses ordures au passage; la distance ainsi ménagée au-dessus du pavé était telle que des enfans jouant et roulant au milieu des rues tombaient dans des égouts et y trouvaient la mort.

La disposition des gouttières ne contribuait pas médiocrement non plus à noyer les rues; de longues gargouilles de fer-blanc emmanchées dans le chéneau qui borde les toits vomissaient l’eau à pleine bouche, inondaient les passans et gonflaient les ruisseaux. Dès qu’un orage s’abattait sur Paris, nos rues étaient des rivières qui débordaient jusque dans les boutiques et dans la cour des maisons; les égouts, immédiatement comblés, rejetaient l’eau qu’ils ne pouvaient plus contenir. Les commissionnaires, les porteurs d’eau, les charbonniers tiraient bon parti de ces torrens, qui interrompaient toute communication, ils accouraient, pataugeant dans l’eau boueuse, portant sur leurs épaules une énorme planche montée sur roulettes ; ils posaient celle-ci aux carrefours, aux endroits où deux rues s’entre-croisent, et moyennant un son il était permis de traverser à pied sec. Il y avait une phrase qui était de tradition chez ces braves gens, plus gais parfois qu’il n’aurait été convenable; selon qu’ils avaient affaire à une femme jeune ou vieille, ils lui disaient en lui offrant la main : « passez, beauté, » ou « beauté, passez. » — Carle Vernet, si je ne me trompe, a pris cette scène pour sujet d’un de ses dessins populaires.

Ce qu’étaient les égouts à cette époque, on le sait, et il est bon de le dire, ne fût-ce que pour faire mieux apprécier les progrès que nous avons accomplis dans cette matière si importante à la vie urbaine. Il existait rue Amelot un égout voûté de 850 mètres de long; commençant à la descente du boulevard Beaumarchais, il se rendait à la gare de l’Arsenal : dans le principe, c’était un ruisseau qui aboutissait en Seine à l’endroit où le boulevard Mazas prend naissance. Vers la fin de la restauration, les exhalaisons qui s’en dégageaient devinrent si insupportables qu’il fallut aviser à le curer. Les sept premiers ouvriers qui essayèrent d’y descendre tombèrent asphyxiés raides morts. C’était de quoi décourager les autres. L’Académie des Sciences et l’Académie de Médecine furent consultées, et elles déléguèrent le docteur Parent-Duchatelet pour surveiller l’opération, et, s’il était possible, pour la rendre inoffensive. Il y réussit. Le nettoyage dura sept mois, car il ne fallut pas enlever moins de 6,450 tombereaux de matières molles ou solides; l’odeur était si particulièrement redoutable que les habitans de la rue Amelot émigrèrent en masse pendant tout le temps que les travaux d’assainissement durèrent. Autour des regards d’extraction, on