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LA
GRANDE ARMÉE A MOSCOU
D’APRES LES TEMOIGNAGES MOSCOVITES.

T. Tolytchef, Razkazy Otchevidtsef o Déviénadtsatom Godié (Récits de témoins oculaires sur l’année 1812), Moscou 1872 et 1873.

Lorsque l’on contemple de la terrasse du Kremlin ou de la tour d’Ivan le panorama de Moscou, on a peine à croire tout ce que racontent les historiens du grand incendie de 1812. Comment imaginer que ces centaines d’églises et de monumens qui sont la parure de la sainte mère Moscou ne soient pas l’ouvrage des siècles? Ils paraissent bien loin de nous, ces jours terribles où l’embrasement de la grande ville illuminait à trente lieues à la ronde, à la distance qui sépare Orléans de Paris, les campagnes russes, et guidait dans les ténèbres, comme un météore sinistre, la marche des armées russes et françaises! Les trois cinquièmes des maisons et la moitié, des temples furent alors détruits. Aujourd’hui cependant, de quelque côté qu’on se tourne, c’est cent, deux cents églises qu’on embrasse d’un coup d’œil, une infinité de clochers, une voie lactée de coupoles. Un peintre qui, avec sa toile devant les yeux, n’aurait besoin que de quelques traits de son pinceau pour figurer une flèche ou un dôme laisserait tomber ses bras de fatigue avant d’égaler un tel modèle. La réalité est plus prodigue que ne le serait la fantaisie. Ce sont les bourgeois et les paysans de Moscou qui ont ainsi enluminé leur capitale, et qui ont fait, avec la pierre, la brique et l’or, mieux que n’eût rêvé l’imagination d’un conteur des Mille et une Nuits. Et dans cette multiplicité, quelle variété! Telle église est surmontée d’une flèche, comme les cathédrales des bords du