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LA
TRAITE DES COULIES
A MACAO

Il y a peu de mois, le navire péruvien Maria Luz, commandé par le capitaine Herrera, fut contraint, manquant d’eau douce, de faire une relâche à Kanagava, un des ports importans du Japon. Ce bateau, parti depuis dix jours à peine de Macao, avait à bord 238 coulies chinois qu’il transportait au Callao, ville maritime du Pérou, située à deux milles de Lima. Aussitôt à l’ancre, un essai tumultueux de débarquement fut tenté par les passagers ; mais l’équipage, qui se tenait sur le qui-vive, parvint aisément à le comprimer, grâce à des coups de bambou et de garcette libéralement distribués. Quelques jours après, pendant une nuit sombre et pluvieuse, quatre ou cinq coulies réussirent pourtant à passer par-dessus bord et à gagner la terre à la nage. Ces mauvaises têtes, réclamées dès le lendemain aux autorités japonaises par le capitaine, lui furent remises sans difficulté, ainsi que cela se pratique pour des matelots déserteurs. Dès qu’ils arrivèrent sur le pont de son bâtiment, Herrera, armé de longs ciseaux, devant tous les coulies assemblés, supprima aux fugitifs la queue en cheveux tressés que tout bon Chinois doit avoir flottante derrière le dos, — mutilation déshonorante, considérée dans tout l’empire du Milieu comme un outrage irréparable. L’application exemplaire de ce châtiment redouté n’eut pas tout l’effet qu’on en attendait, car peu de jours après d’autres coulies parvinrent encore clandestinement à gagner la terre. Cette fois, quand le capitaine du navire péruvien se présenta pour les réclamer à la police japonaise, celle-ci, agissant sous la pression des résidens européens, refusa catégoriquement de livrer les déserteurs. Un tribunal composé du gouverneur de Yokohama, des consuls de France, d’Angleterre, d’Allemagne, se réunit aussitôt