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compté d’avance l’effet de l’indemnité. Voilà où en est l’Allemagne après avoir reçu nos 5 milliards : elle subit une crise financière, et son marché est beaucoup moins solide que le nôtre. Étrange contradiction des prévisions humaines !


III.

Maintenant il nous faut porter aussi un regard attentif sur nous-mêmes et nous demander si, après avoir payé notre rançon, il n’y aura plus qu’à se reposer sur un lit de roses : ce serait une erreur de le croire. Nous serons quittes, il est vrai, vis-à-vis des Prussiens, mais nous ne le serons pas à l’égard de ceux qui nous ont prêté les 5 milliards. Cette somme continuera de figurer à notre passif, au chapitre de la dette publique, sous forme d’une rente supplémentaire de plus de 300 millions. Il faudra en outre liquider nos propres dépenses, rembourser notre principal établissement financier de ses avances, payer les intérêts des emprunts de 1870, emprunt Magne et emprunt Morgan, accorder des indemnités à ceux qui ont souffert de l’invasion, refaire notre matériel de guerre et reconstruire nos places fortes. Toutes ces dépenses peuvent s’élever à une somme au moins égale à l’indemnité prussienne, et ce n’est qu’après avoir fait ce règlement général que nous saurons à quoi nous en tenir sur notre situation financière. Jusque-là on est dans l’inconnu et on peut se nourrir d’illusions.

Il y a d’abord un premier compte à examiner, qu’on appelle le compte de liquidation et qui est fort embrouillé. On l’a chargé de tout ce qui à un certain degré peut avoir le caractère de dépense extraordinaire provenant du fait de la guerre. Il comprendra, suivant l’énumération qu’en faisait M. Thiers, les frais de la reconstruction de notre matériel de guerre, ceux de la création d’une nouvelle ligne de places fortes pour avoir des frontières, ceux de la restauration de nos grands monumens à Paris détruits par la commune, enfin une indemnité pour les dépenses des mobilisés. En regard de ces frais, qu’on évalue à 773 millions, on porte en recette, jusqu’à concurrence de 644 millions, des annulations de crédit, des terrains à vendre dans Paris, des bonis sur le dernier emprunt, enfin une amélioration dans les produits des impôts nouveaux. Le déficit serait donc de 130 millions. On ne sera certainement pas trop pessimiste en disant que les dépenses dépasseront ces prévisions, et que les recettes ne les atteindront pas. Les terrains à Paris ne se vendent guère en ce moment, les annulations de crédit sont toujours moindres qu’on ne suppose à cause des dépenses supplémentaires qui viennent les neutraliser dans une certaine mesure, et, quant à l’amélioration dans les produits des impôts nouveaux,