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quent et justifient cette dérogation, qui a été un service immense rendu au pays et qu’on ne saura jamais assez reconnaître. Il s’agit aujourd’hui tout simplement de savoir si le papier-monnaie qui représente la dette de l’état a bien sa place dans la circulation : il ne l’aurait pas en temps ordinaire, même si l’état était moins embarrassé ; il l’a en ce moment parce qu’il tient lieu de numéraire, qui fait défaut et qui se cache, mais qui, je le répète, est en provision pour les besoins futurs. Or, comme l’état est très solide, qu’il peut parfaitement répondre de ses engagemens, le papier qu’il garantit est facilement accepté ; il le serait moins bien le jour où il n’y aurait plus de cours forcé et où les espèces métalliques reparaîtraient dans la circulation. La raison en est très simple : ce jour-là, il ferait concurrence au numéraire, la circulation serait trop chargée, et, comme il arrive toujours en pareil cas, ce serait le numéraire qui s’en irait pour laisser la place au papier. Par conséquent, pour bien apprécier la valeur des billets de banque, il faut moins examiner l’importance qu’ils ont que la cause qui les a fait naître. Aujourd’hui, malgré le chiffre énorme qu’ils ont atteint, ils ne sont point en excès, ils répondent à des besoins réels, et d’ailleurs ils sont suffisamment garantis.

On a du reste un critérium assez sûr pour juger si une circulation fiduciaire est en excès ou non : c’est le change. Dans l’automne de 1871, au moment de nos premiers paiemens à la Prusse, le change s’est élevé tout à coup à 26 francs avec l’Angleterre et à 3 ou 4 pour 100 à notre préjudice sur les diverses places de l’Allemagne. Immédiatement notre papier-monnaie, qui n’atteignait alors pas 2 milliards 400 millions, perdit 2 1/2 pour 100. L’agio sur l’or est monté à 25 francs par 1,000. Si nous avions continué dans la voie où nous étions engagés sans songer à nous créer des ressources autrement que par des émissions de billets, la dépréciation n’eût pas tardé à être plus considérable ; nous serions tombés dans des embarras extrêmes. La situation s’est améliorée, parce qu’on s’est moins pressé dans les paiemens qu’on avait à faire et qu’on a cherché des ressources d’une façon plus régulière. Alors la prime sur l’or a baissé sensiblement, et on a vu le phénomène étrange d’une circulation fiduciaire qui était moins dépréciée à mesure qu’elle augmentait. C’était pourtant la conséquence naturelle des choses et le triomphe des vrais principes.

Veut-on ailleurs que chez nous la preuve de ce qui vient d’être dit, on n’a qu’à examiner ce qui se passe dans les pays qui ont le cours forcé : en Italie, en Autriche, en Russie et même aux États-Unis. L’Italie a pour 1 milliard à peine de circulation fiduciaire, parfaitement garantie par l’état, contre une encaisse de 250 millions à 300 millions en espèces métalliques ; cependant son papier