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spéculation avait exagéré les opérations industrielles et commerciales, qu’on avait produit au-delà des besoins, entassé des marchandises qui n’avaient pas de débouché; on était dans une situation que les Anglais ont justement qualifiée d’over-trade. Fallait-il encore aggraver cette situation, pousser au développement des affaires et encourager une production qui avait déjà dépassé ses limites naturelles? C’est ce qui serait arrivé, si, au lieu d’élever le taux de l’intérêt et de réduire l’escompte, on avait augmenté les émissions de papier-monnaie, créé un capital factice pour le donner à ceux qui en avaient besoin. La spéculation aurait continué ses excès, et un beau jour on se serait trouvé en présence d’une liquidation désastreuse qu’on n’aurait pu éviter. Il ne faut pas l’oublier, le papier-monnaie qu’on met en circulation ne vaut rien par lui-même, il ne vaut que par l’opération qu’il représente. Si celle-ci est bonne, si elle a pour objet la création ou l’échange de produits qui ont une place immédiate dans la consommation, c’est à merveille, le papier est utile et il conserve sa valeur. Il en est autrement s’il s’agit d’encourager des opérations factices, une production à outrance et un échange de marchandises qui n’auront pas de longtemps des consommateurs. Alors l’augmentation du papier-monnaie devient un gros danger, elle favorise un mal qu’il faudrait arrêter, et le billet se déprécie, car nul ne sait ce que vaudra l’opération pour laquelle il a été émis le jour où il faudra la liquider. Augmenter la circulation fiduciaire en pareil cas, c’est donner de la nourriture à un homme qui est malade pour avoir trop mangé ; on ne le guérira qu’avec une diète momentanée. Or l’élévation du taux de l’intérêt et la réduction des escomptes, c’est la diète, et une diète salutaire imposée au commerce lorsqu’il a commis des excès. En 1857 et 1863, si l’on avait accru l’émission de 200 à 300 millions, comme on le demandait, et adopté le cours forcé, la circulation fiduciaire se serait infailliblement dépréciée.

Que se passe-t-il aujourd’hui, et quelle est la différence de la situation? Aujourd’hui il n’y a pas de crise commerciale, pas d’apparence d’over-trade, nous suffisons à peine aux besoins du dehors et du dedans; par conséquent tous les escomptes de la Banque de France et les billets qu’elle émet en conséquence reposent sur des opérations sérieuses; il n’y a rien de factice dans les entreprises industrielles, et, sauf les accidens particuliers, on est à peu près sûr que tout le papier de commerce sera payé à échéance. Une partie, il est vrai, de l’émission des billets de banque, et la plus considérable, a pour cause des avances faites à l’état. C’est irrégulier assurément : la Banque de France est ainsi sortie de ses attributions ordinaires, qui sont de prêter assistance au commerce; mais les circonstances exceptionnelles que nous avons traversées expli-