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prix elle peut conjurer la crise sans recourir à des moyens plus rigoureux, comme le refus des bordereaux et la suspension de sa charte. Jamais l’Angleterre avec sa réserve métallique de 2 milliards 1/2 n’aurait pu payer une indemnité de 5 milliards, et si elle s’était affranchie des rigueurs de l’acte de 1844, qui règle l’émission des billets de banque, elle n’aurait pas pu les multiplier comme nous l’avons fait en les maintenant au pair. Déjà même aujourd’hui, lorsqu’elle a servi tout au plus d’intermédiaire pour le paiement de nos traites aux Allemands, elle a vu son marché éprouvé par une crise; le taux de l’escompte était encore naguère à 7 pour 100, et à tout moment il y a des changemens subits dans le prix de l’argent. Cela tient à ce que, la base monétaire sur laquelle repose tout l’édifice de son crédit étant très étroite, celui-ci est toujours un peu précaire. En France, ce qui nous a sauvés après la richesse et les grandes facultés d’épargne du pays, c’est d’une part la liberté d’émission de notre principal établissement financier, et de l’autre l’importance de notre stock métallique. Ces deux moyens appuyés l’un sur l’autre nous ont permis de faire face à une situation qui n’a pas d’analogue dans l’histoire; seulement il importe de prémunir les esprits contre les conséquences qu’on pourrait en tirer.

On se figure volontiers, en voyant la stabilité de notre papier-monnaie malgré une émission considérable, que le cours forcé des billets de banque est sans inconvénient, et que nous avons là un moyen de conjurer toutes les crises financières qui pourront se produire dans l’avenir. Cette idée, souvent mise en avant dans les temps difficiles, et qui a toujours été combattue comme chimérique par les esprits sérieux, prend dans les faits qui viennent de se passer une apparence de force qu’il importe de détruire. En 1857 et en 1863, pour ne parler que des dernières crises, l’encaisse métallique de la Banque de France s’est trouvée réduite à 189 millions et 205 millions contre une circulation fiduciaire qui ne dépassait pas 581 millions en 1857, et 800 millions en 1863. On pressait alors notre principal établissement financier d’augmenter son émission, d’adopter le cours forcé plutôt que d’élever le taux de l’intérêt et de réduire les escomptes. Nous avons été de ceux qui ont émis une opinion contraire, et cependant à cette époque il ne s’agissait pas de porter l’émission à 3 milliards ; on n’était pas en face d’une rançon à payer à l’ennemi et d’une dette considérable à liquider. Il semble qu’on aurait pu en effet augmenter l’émission de billets au porteur sans qu’il en résultât d’inconvénient; c’est là une grande erreur. Ce qui se passe aujourd’hui n’a pas infirmé le moins du monde les véritables principes sur lesquels repose la circulation fiduciaire. En 1857 et 1863, il y avait crise, parce que la