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France et de l’Angleterre, lui disait : « En Angleterre, il y a une personne sur cinq qui dépense tout son revenu, ou ce qu’elle gagne en France, il y en a une à peine sur quarante, les trente-neuf autres font des économies. » Le même homme d’état ajoutait que, rentré en France, il avait voulu contrôler par lui-même cette assertion, et qu’il l’avait trouvée très exacte. En effet dans notre pays, malgré le peu de tendance à l’épargne qu’ont les classes ouvrières, surtout celles qui gagnent de gros salaires, on peut constater, en prenant l’ensemble de la population et en tenant compte des habitudes des campagnes, que l’esprit d’économie prédomine dans une proportion remarquable.

Il est difficile de dire à combien peuvent s’élever annuellement toutes les économies réunies. Si nous avions, comme en Angleterre, un impôt sur le revenu atteignant toutes les branches de la fortune publique, on pourrait, en capitalisant l’augmentation du revenu soumise chaque année à l’impôt, évaluer d’une façon assez précise le chiffre des économies annuelles; mais ce moyen nous manque, et nous n’en avons pas d’autre qui puisse y suppléer : on en est réduit à des données approximatives. Voyons d’abord les dépenses extraordinaires qui ont eu lieu depuis une certaine époque. Si on peut calculer ces dépenses et montrer qu’elles ne nous ont pas appauvris, on sera en droit de conclure que le pays les a faites sur ses économies, et qu’elles représentent au moins le montant de ses épargnes. Or pendant la durée du second empire, on a emprunté, tant pour combler les déficits du budget, qui étaient pour ainsi dire permanens, que pour satisfaire à des besoins extraordinaires tels que la guerre de Crimée et celle d’Italie, environ 4 milliards 1/2, soit pour dix-neuf ans 250 millions par an. On a dépensé en travaux extraordinaires de chemins de fer et autres au moins 1 milliard par an; on a consacré à des améliorations de toute nature, qui se sont traduites par des habitations plus confortables et des ameublemens plus riches, une somme annuelle égale peut-être à 500 millions; les embellissemens de la ville de Paris absorbaient seuls plus de 200 millions. Si maintenant on y ajoute la part qui nous revient dans les entreprises industrielles et les emprunts du dehors, et qui peut bien s’élever encore à 5 milliards, soit 260 millions par an, on arrive à une somme ronde de 2 milliards. Et cependant, avant la guerre de 1870, la France, malgré cet emploi extraordinaire de capitaux, était loin d’être épuisée; elle supportait facilement le poids des charges qu’un gouvernement imprévoyant avait fait peser sur elle, et elle avait en réserve des ressources immenses pour les besoins inattendus. On l’a bien vu pendant la guerre, et ce qui l’atteste encore mieux, c’est la facilité avec laquelle elle s’est relevée au lendemain de ses désastres; elle n’a pu en trouver les moyens