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des marécages stagnans qui seuls suffiraient à expliquer les pestes, les lèpres, le mal des ardens dont nos ancêtres ont tant et si souvent souffert. Au moyen âge, l’égout coulait à ciel ouvert, car presque toujours c’était la voie publique elle-même qui était l’égout ; on la creusait dans l’axe pour dégager les côtés sur lesquels on essayait de marcher à pied sec ; de distance en distance, on jetait des planches transversales, parfois un petit ponceau pour communiquer d’une rive à l’autre du bourbier, où les porcs se vautraient et vaguaient si bien que le fils aîné de Louis VI, passant rue des Martrois, près de la Grève, fut jeté bas de son cheval, effrayé par un pourceau, et mourut des suites de sa chute. En 1184, Philippe-Auguste, s’étant mis à la fenêtre du palais, regardait les chariots qui traversaient la cité ; les roues s’engageaient dans une fange épaisse d’où montait une odeur tellement fétide que le roi n’y put tenir. Il convoqua le prévôt des marchands, les échevins, et leur ordonna de garnir de larges pierres les rues de la ville. On procéda sans doute avec lenteur, car sous Louis XIII la moitié de Paris à peine était pavé : il ne l’est même pas encore complètement à l’heure qu’il est ; on peut s’en assurer en allant se promener vers la butte aux Cailles, qui cependant fait partie de notre agglomération urbaine depuis la loi du 16 juin 1859[1].

On a retrouvé sous le Palais de Justice et sous les terrains où s’élevait l’archevêché avant la journée de 1831 des restes d’égouts en bons appareils datant de saint Louis ou de Philippe le Bel ; mais ils n’avaient rien de public et étaient exclusivement consacrés à recevoir les immondices des grandes demeures qu’ils desservaient. Ils s’ouvraient fort probablement auprès des cuisines et se dégorgeaient dans la Seine ; lorsqu’on les eut découverts, on ne manqua pas de les prendre pour des oubliettes, ce qui est le sort commun réservé à toutes les excavations rencontrées dans les vieux châteaux. La cité se vidait dans la Seine ; la partie de Paris assise sur la rive gauche et qu’on nommait alors l’Université s’épanchait dans la Bièvre ; les habitations groupées sur la rive droite, que par excellence on appelait la ville, avaient pour exutoire le ruisseau de Ménilmontant. Les collines de Charonne, de Ménilmontant, de Belleville et de Montmartre sont revêtues d’un terrain sablonneux qui fait éponge et boit l’eau pluviale ; mais celle-ci ne peut pénétrer profondément dans le sol, car elle est arrêtée par des couches argileuses qui sont directement posées sur les bancs de pierre à plâtre.

  1. Ce qui prouve que le pavé a été longtemps une exception, c’est qu’une rue, dès qu’elle était garnie de pierres, — le plus souvent de molasse de Fontainebleau, — recevait un surnom qui le constatait : rue Pavée-au-Marais, rue Pavée-Saint-André, rue Pavée-Saint-Sauveur, etc.