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il n’en tenait aucun compte, il bravait leur hostilité sans affectation comme sans faiblesse. Il ne se soutenait pas par les radicaux, il les avait accidentellement avec lui, le plus souvent contre ce qu’il proposait. Ici c’est pour vivre qu’il faut subir l’appui de ces quelques bonapartistes de l’assemblée, qui font autant de bruit que s’ils étaient une légion et qui semblent fort disposés à faire sentir le poids de leur protection. Il faut traiter avec eux, il faut leur passer le voyage à Paris du prince Napoléon, dont la présence ; il est vrai, est bien peu dangereuse, à considérer l’effet qu’il produit. Les bonapartistes n’ont pas encore tout ce qu’ils veulent, c’est bien clair, ils espèrent l’avoir, parce qu’on a besoin d’eux, parce que, s’ils se retirent dans un jour de mêlée parlementaire, la majorité se déplace subitement, et on rétrograde tout à coup jusqu’à la situation qui existait avant le 24 mai.

Franchement, ce doit être dur pour quelques-uns des hommes du gouvernement de se sentir à la merci de ce contingent de l’empire, d’autant plus qu’ils ne sont pas trop sûrs de l’appui de ces bonapartistes, qui naturellement commencent à voir en eux de médiocres conservateurs. Si le ministère en était réduit définitivement à subir cette condition humiliante, il se trouverait engagé dans une voie où il ne serait plus maître de ses résolutions et de ses destinées, où il ne ferait plus que travailler pour d’autres. S’il aspire, comme il doit en avoir l’ambition légitime, à faire le bien du pays, c’est le moment pour lui de se dégager de tous ces liens compromettans, de chercher sa force dans le concours de toutes ces opinions modérées qui n’admettent une politique réellement conservatrice et libérale qu’en dehors de tous ces partis extrêmes ou excentriques, bonapartistes, légitimistes pointus ou radicaux.

Le malheur est qu’au milieu de tout cela le ministère ne semble pas avoir des idées bien précises, et qu’à l’ennui d’avoir des bonapartistes pour protecteurs ou pour alliés, il joint cet autre inconvénient de paraître un gouvernement assez inexpérimenté et assez novice. Il n’a que quelques jours d’existence, et déjà il a eu ses gaucheries qu’il aurait payées cher, s’il n’y avait eu dans l’assemblée une majorité si résolue à le soutenir dans ses premières épreuves. Qu’il soit conservateur et même « résolument conservateur, » nous le voulons bien. Encore faut-il suivre une politique avec assez d’habileté ou de prudence pour éviter de se laisser prendre du premier coup dans des aventures au moins singulières. Non vraiment, le ministère n’a pas été heureux pour ses débuts auprès de l’assemblée. Il a manqué d’aplomb au feu après avoir manqué de vigilance dans le conseil. Voilà toute l’affaire. Si le ministère s’était borné à supprimer simplement le journal radical le Corsaire, on n’aurait pu rien lui dire, puisqu’il n’avait fait qu’user d’un droit inhérent à l’état de siège, qui existait avant lui. Il a voulu de plus donner à cette sup-