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s’il voulait faire accepter au pays une autre politique, même s’il laissait entrevoir la possibilité d’une déviation. C’est notre dernière fortune que dans la douloureuse situation où les événemens nous ont laissés nous puissions du moins en finir avec toutes les infatuations, avec les banalités diplomatiques et les engagemens périlleux. Qu’on se pénètre donc de cette situation, de ce que la France a désormais à faire pour retrouver dans un temps donné des alliances qui seront le prix d’une politique reconstituée sans bruit, jour par jour, et surtout qu’on ne laisse pas s’introduire l’esprit de parti dans nos affaires extérieures.

Chose assez bizarre, le 24 mai une révolution s’accomplit, il s’agit de tout transformer, d’arrêter la France sur la pente de l’abîme où elle va rouler, et le lendemain qu’arrive-t-il ? Dans la politique extérieure, on se hâte de donner l’assurance qu’on ne fera rien de plus que ce qui se faisait la veille. Dans la politique intérieure, on déclare aussitôt que les institutions légalement existantes restent intactes, qu’on n’a pas eu la moindre intention de toucher au régime sous lequel nous vivons, qu’on exercera le pouvoir tout simplement dans les conditions où l’exerçait le gouvernement précédent. Que reste-t-il donc comme raison d’être et comme programme définitif de cette révolution ? C’est bien clair, c’est une histoire qui n’est pas nouvelle, on fera les mêmes choses, mais on les fera autrement ; on gouvernera avec le même appareil d’institutions, mais on donnera une autre direction, on s’efforcera de faire prévaloir un autre esprit plus décidé, plus conservateur, dans la marche de l’administration. Soit ; on restera dans les proportions modestes de ce qui est possible et pratique, et on a grandement raison du reste de ne pas se lancer dans les aventures ; mais, on n’y prend pas garde, le danger est justement là dans cette disproportion entre ce qu’on a eu l’air de tenter et le résultat, entre l’apparence et la réalité. On a pris un élan qu’on est obligé d’arrêter d’une façon un peu brusque ou qui conduirait au-delà de ce qu’on veut, de ce qu’on peut faire. On a mis en mouvement des idées, des espérances auxquelles on ne peut donner une pleine satisfaction. On a été forcé de nouer des combinaisons et des alliances qu’il ne sera pas facile de maintenir. Voilà le danger, voilà ce qui complique tout, et le ministère n’en est point certainement à s’apercevoir qu’il a d’étranges difficultés à surmonter, qu’on ne gouverne pas au milieu des partis comme on prépare des campagnes d’opposition.

Au premier moment, sans doute il a trouvé tout assez facile, il a eu sa lune de miel de quelques jours ; on lui a donné le temps de s’établir au pouvoir et d’organiser la victoire qu’il venait de remporter. Le nouveau gouvernement d’ailleurs, cela n’est pas douteux, a eu la bonne fortune de trouver ce qu’on pourrait appeler un capital de crédit et de prestige dans le nom de l’illustre chef qui le personnifie et le préside. L’honneur du soldat, l’intégrité de l’homme, ont été tout de suite pour la France un gage de sécurité. Le maréchal de Mac-Mahon a l’avantage