Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son caractère ; » puis il demande lui-même à prouver par un serment, dont le greffier lit la formule qui avait été signifiée à la partie adverse, les mauvais traitemens qu’il a subis, sans avoir rien fait pour les provoquer, de la part de Conon.

La péroraison, qui suit cette discussion et cette réfutation des plus serrées, est simple, mais noble et ferme. Le plaignant y présente sa cause comme celle de tous les citoyens, exhorte les Athéniens qui l’entendent à venger dans sa personne l’ordre insolemment troublé, les lois outragées. « Voici donc ce que je vous demande, juges, maintenant que je vous ai bien expliqué quel est le droit, et que j’ai prêté serment devant vous. Si l’un d’entre vous eût été traité comme moi, il aurait du ressentiment contre son agresseur ; eh bien ! ne soyez pas plus indulgens envers Conon à raison de ce qu’il m’a fait. Gardez-vous de croire qu’il s’agit uniquement, dans ces sortes d’affaires, d’une querelle privée, d’accidens qui peuvent arriver à tout le monde. Quelle que soit la victime, vous devez lui venir en aide et lui faire droit ; vous devez voir d’un mauvais œil ces hommes, qui se montrent hardis et téméraires avant de faire le mal, imprudens et roués devant la justice, et qui ne respectent ni l’opinion publique, ni l’usage, ni rien au monde, quand il s’agit d’échapper à une condamnation… Songez-y, si vous renvoyez Conon des fins de la demande, beaucoup feront comme lui. Il s’en trouvera moins, si vous le condamnez. »

L’orateur ajoute quelques mots sur les services que son père et lui ont rendus à la république, le premier comme triérarque, tant qu’il a vécu, lui-même en portant les armes quand la république a réclamé son concours, tandis que Conon, ni aucun des siens, n’ont rien de semblable à dire. Il termine par ces paroles, conformes à la tradition du barreau athénien : « Je ne vois pas qu’il me reste rien de plus à ajouter. Je pense que vous avez présent à l’esprit tout ce que j’ai dit. »

Cette trop courte analyse ne doit point dispenser d’étudier le discours lui-même, qui mérite d’être lu tout entier ; mais peut-être suffira-t-elle à donner quelque idée de la manière et du talent de Démosthène considéré comme avocat, ou, pour mieux dire, comme logographe, comme rédacteur de plaidoyers. Dans le discours contre Conon, auquel ressemblent plusieurs ouvrages du même maître, Démosthène réunit aux qualités qui firent le succès de Lysias celles qui distinguent Isée. De Lysias, il tient l’art d’entrer dans le caractère et dans le rôle du personnage qu’il fait parler, de se transformer en lui, si l’on peut ainsi parler, de produire l’illusion la plus complète. Par la vraisemblance et la vivacité du récit, par l’art d’y semer des détails sensibles et pittoresques, de faire voir la