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pu songer qu’à la cinquième ; elle contient un bel éloge de la doctrine platonicienne, mais il n’y est point indiqué que Démosthène ait été, comme cet Héracléodore auquel la lettre est adressée, disciple du maître. De plus tous les critiques s’accordent à rejeter les lettres mises sous le nom de Démosthène. Les anciens d’ailleurs n’y regardaient pas de si près quand ils croyaient avoir trouvé un moyen spécieux de rattacher l’un à l’autre deux grands hommes du passé ; un péripatéticien, pour relever la gloire de sa secte, n’avait-il pas imaginé d’avancer que Démosthène avait tiré toute son éloquence de la Rhétorique d’Aristote ? Il fallut que Denys démontrât que la Rhétorique n’avait guère été composée que vers le temps de la bataille de Chéronée ; notre orateur avait alors depuis longtemps déjà produit ses plus belles œuvres. Est-ce à dire que Démosthène ne doive rien à Isocrate ni à Platon ? Ce serait aller beaucoup trop loin. L’un et l’autre étaient ses compatriotes et ses aînés ; quand Démosthène entra dans la vie, leurs œuvres étaient dans toutes les mains. Un jeune homme qui a l’esprit ouvert, l’âme neuve et sensible, subit toujours l’influence de ses grands contemporains : de manière ou d’autre, quelque chose d’eux arrive jusqu’à lui et passe dans son être ; il reçoit là des impressions qui donnent à son intelligence sa forme durable et sa physionomie particulière.

L’éloquence de Démosthène, éloquence d’action et de combat, est à certains égards l’opposé même de celle d’Isocrate, éloquence de luxe et d’apparat, qui prend son temps et ne suppose pas de contradicteurs. Ces deux hommes n’ont de commun que le patriotisme ; on ne peut rien imaginer de plus différent que l’ensemble de leurs opinions et de leurs idées. Il n’en est pas moins facile de marquer ce dont Démosthène est redevable à l’auteur du Panégyrique. Un disciple d’Isocrate lui aurait prêté, racontait-on, ses cahiers d’école ; il aurait eu ainsi connaissance des préceptes du maître. Nous ne savons quel fonds il faut faire sur cette anecdote. Vers la fin de la vie d’Isocrate, si celui-ci n’avait pas publié lui-même son cours de rhétorique, ce manuel avait servi à l’instruction d’un si grand nombre d’élèves qu’il devait être à peu près tombé dans le domaine public. En tout cas, Démosthène n’y trouvait rien qu’Isée ne lui eût aussi bien enseigné. Ce fut surtout par ses œuvres principales, par des discours tels que le Panégyrique, le Plataïque, l’Archidamos, qu’Isocrate agit sur Démosthène. C’est là mieux que par tout autre exemple, que celui-ci dut apprendre comment l’expérience et les réflexions du politique pouvaient se traduire dans un langage où l’emploi continuel des termes abstraits n’enlevait rien à l’aisance et à la clarté ; c’est dans cette prose, la plus savante et