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sa garde. Scènes bizarres et humiliantes ! Le général Trochu l’a dit avec une vivacité dramatique dans sa déposition devant la commission du 4 septembre : « le vois encore Flourens monté sur la table et lisant les noms des membres du nouveau gouvernement… C’était un tumulte indescriptible, on ne s’entendait pas. J’étais à deux mètres de Jules Favre, qui à ce moment apostrophait ces hommes avec la plus rare énergie, leur reprochant d’avoir ruiné la défense et leur disant : — Vous, êtes des scélérats et vous resterez des scélérats ! — On ne l’écoutait pas ; on criait à M. Dorian : — Nous ne vous entendons pas, sur la table ! sur la table ! — M. Dorian s’exécute, monte sur la table… » — M. Dorian s’efforce de répéter qu’il est un homme paisible, qu’il n’a rien de ce qu’il faut pour la situation qu’on veut l’obliger à prendre. N’importe, on veut Dorian, on entraîne Dorian, et pendant que ces scènes se passent dans la salle du conseil, le reste du palais est au pouvoir des autres chefs de l’émeute. Félix Pyat erre, flairant le vent du succès. Delescluze se pose en arbitre, en médiateur. Blanqui s’enferme un instant dans un cabinet et agit en chef du gouvernement. Il envoie à la préfecture de police, au ministère des finances ; il expédie même des ordres aux commandans des forts et aux gardiens des portes de Paris. Il y eut un moment où l’on crut que la révolution était accomplie. Le canon cependant retentissait au loin sur le front de nos lignes !

Le malheur évidemment, c’est que, selon les prévisions de M. Picard, on était allé se faire prendre dans une souricière. Tout ce qui avait une apparence d’autorité, membres du gouvernement, ministre de la guerre, commandant de la garde nationale, tout se trouvait à l’Hôtel de Ville sous la main de l’émeute. La question était de savoir comment on se tirerait de là. Le premier assez heureux ou assez habile pour se sauver fut M. Picard, qui se transportait immédiatement au ministère des finances, qui faisait appel aux bataillons fidèles de la garde nationale : dès lors la résistance redevenait possible. Bientôt un bataillon de garde nationale du faubourg Saint-Germain, sous les ordres du commandant Ibos, se hâtait de gagner l’Hôtel de Ville, pénétrait dans le palais, arrivait jusqu’à la salle du conseil, et dans la confusion le général Trochu, M. Jules Ferry, parvenaient encore à se sauver. Le général Trochu, une fois délivré, se présentait devant les gardes nationaux qui affluaient de tous les côtés, et il parcourait une ligne immense au milieu des plus vives acclamations.

A partir de cette heure assez avancée dans la soirée, la reprise de l’Hôtel de Ville n’était plus qu’une affaire de temps. On aurait eu bientôt fini sans doute, si on avait voulu donner toute liberté au général Ducrot, qui à la première nouvelle des événemens