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moins le plus cruel embarras pour le gouverneur de Paris, à qui on donnait une force mal organisée et peu sûre, dont il ne pouvait se servir sans péril, et qu’il ne pouvait laisser inactive sans se faire accuser de ne pas savoir utiliser le courage et le zèle de la population parisienne.

Ce n’est pas tout encore : au sein même du gouvernement, le général Trochu rencontrait plus d’un obstacle ou plus d’un ennui. Assurément on l’entourait de tous les dehors de la déférence, on subissait l’ascendant de son esprit et de sa parole, on ne pouvait oublier après tout que seul il avait assuré au gouvernement de la défense nationale l’adhésion et l’appui de l’armée. On ne doutait pas de son caractère, on doutait de sa capacité. En lui imposant quelquefois de rudes épreuves par des mesures comme le décret sur l’élection des officiers, qui désorganisait momentanément la garde mobile en plein combat, le 19 septembre, qu’il ne subissait que parce qu’il ne pouvait pas donner sa démission devant l’ennemi, — en aggravant le fardeau qui pesait sur lui, on l’entourait de défiances. M. Picard prétendait dès les premiers jours que le général Trochu avait l’air de « mener le deuil du siège. » M. Emmanuel Arago, introduit dans le conseil de défense sans doute à titre de stratégiste, demandait des sorties que le gouverneur refusait énergiquement en les appelant « d’insignes folies. » M. Jules Favre lui-même, quoique plein d’estime et de sympathie pour le général Trochu, avait de grands doutes qu’il échangeait avec M. Picard le soir en quittant l’Hôtel de Ville. Il y avait en un mot dans le gouvernement le camp des censeurs de la défense militaire. Tous ces hommes justifiaient parfaitement le mot spirituel du général Trochu, sur M. Jules Favre : « il ne s’élevait pas au-dessus de la compréhension bourgeoise des affaires militaires, c’est-à-dire qu’il attendait l’événement heureux pour me déclarer le plus grand homme de guerre des temps présens, ou l’événement contraire pour m’en déclarer le plus médiocre… » C’était le principe d’une situation qui naturellement allait en s’aggravant, qui devait même en venir à prendre le caractère le plus aigu à mesure qu’on approchait de la catastrophe, mais qui existait dès l’origine, et n’était pas de nature nécessairement à faciliter l’œuvre du gouverneur de Paris.

Il y avait enfin au milieu de tout cela les conflits d’attributions entre autorités militaires, des découragemens chez quelques généraux, chez d’autres des froissemens, des susceptibilités, des rivalités, perçant jusque dans l’obéissance d’ailleurs la plus scrupuleuse et voilés par le patriotisme. Les rivalités et les froissemens, ils existaient même sous Napoléon Ier, qui ne parvenait quelquefois à les dominer que par la supériorité de son génie. Le gouverneur de