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Quel était en effet le problème à résoudre ? On se trouvait dans Paris, ayant sur les bras un assiégeant qui comptait plus de 200,000 hommes, tandis que Metz de son côté occupait encore 200,000 Allemands. Si on tenait dans Paris quelques semaines, le plus possible, on laissait à la France le temps de se relever, de reconstituer des armées de secours à la place de celles qui avaient disparu. L’Europe à son tour pouvait finir par s’émouvoir de cette lutte gigantesque et se sentir intéressée à reprendre une action médiatrice. M. Thiers faisait justement son voyage de Londres à Saint-Pétersbourg, de Vienne à Florence, pour essayer de renouer les fils de cette action européenne. Il s’agissait donc avant tout de gagner un temps nécessaire et précieux, de faire durer quand même une résistance qui au point de vue militaire pouvait très bien n’être qu’une « héroïque folie. » Tout se liait ; le réveil des sympathies européennes, s’il y avait quelque chance de ce côté, la reconstitution des forces françaises, n’étaient possibles que si Paris tenait, et on ne pouvait tenir à Paris qu’à certaines conditions, en appropriant jusqu’à un certain point la défense aux besoins, aux intérêts, aux passions et même aux faiblesses d’une population immense subitement atteinte dans ses habitudes, dans son travail, dans son existence tout entière. De là les caractères généraux et les difficultés de cette entreprise, commencée presque au hasard, poursuivie à travers toutes les complications et les confusions, conduite par ce soldat philosophe à qui on demandait souvent ce qu’il ne pouvait pas faire, qui suppléait à tout par de la bonne volonté, quelquefois par des proclamations ou par des discours, qui se voyait incessamment réduit, avant d’aborder l’ennemi extérieur, à se débattre contre tous les obstacles qui se multipliaient autour de lui.

Je voudrais montrer au vif quelques-unes des circonstances les plus caractéristiques de cette opération du siège de Paris, unique dans l’histoire, unique par les conditions dans lesquelles elle s’accomplit, unique par la situation faite au chef militaire chargé de la diriger. Première difficulté : quel pouvait être le régime de la grande cité investie ? Si Paris eût été une ville de guerre ordinaire, une de ces places où à l’approche de l’ennemi la population civile s’absorbe dans la garnison et où l’autorité militaire reste seule debout, rien n’eût été plus aisé que de constituer l’état de siège dans toute sa force, dans sa rigueur nécessaire. C’était à peu près impossible à Paris, surtout au lendemain d’une révolution, avec un gouvernement vivant par la bonne volonté publique. A cette cité populeuse composée de tant d’élémens bons ou mauvais, souffrant déjà de sa claustration, privée de ses occupations habituelles, de son industrie ou de ses plaisirs, il fallait un aliment. On ne pouvait