Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/890

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expriment une supériorité discrète, un courage sans ostentation, un certain dédain mêlé à la fois de mansuétude et d’ironie, une sagacité placide, un esprit sans illusions comme sans faiblesses. Non, ce n’est point là une image commémorative et banale : c’est un homme vivant, plus vivant peut-être que le modèle, et cette flamme intense de la vie s’allie chez lui avec une sereine et simple grandeur.

Il y a aussi de la grandeur dans le buste de Duban, par M. Cavelier ; mais c’est une grandeur académique et artificielle, obtenue par des procédés de convention. On y voit à merveille ce qui distingue le talent sincère, individuel et vraiment créateur de M. Guillaume du style noble et correct de M. Cavelier. On sent en effet dans tout cet ouvrage la préoccupation du style. La ligne en est sévère et solennelle, jusqu’au socle carré sur lequel elle repose ; on dirait une figure descendue de l’apothéose d’Homère, de M. Ingres. La physionomie est pleine, grave, et, quoique un peu ravinée, elle a un grand effet de fermeté placide ; par malheur, il y a quelque chose de systématique dans l’excessive simplicité de ses plans. Le front est massif ; le nez, quoique légèrement busqué, est droit dans son plan général et taillé comme ceux des bustes grecs ; la bouche, aux lèvres fermes et fortes, ne sourit pas, mais elle a les coins relevés, ce qui lui donne, malgré sa gravité d’emprunt, un certain air de raillerie. Les yeux sont enfoncés, le globe en est uni et sans regard, ce qui, depuis que nos sculpteurs ont perdu l’habitude des yeux blancs, est presque une affectation d’archaïsme. Cette sculpture a un caractère magistral, mais avec une sorte de rigidité hiératique qui ne convenait peut-être pas au sujet. On sait que M. Duban était un néo-grec, et l’on comprend à merveille l’association d’idées qui a porté son sculpteur à reproduire ses traits dans le style qu’il aimait, et qui convenait le mieux à son talent ; quoi qu’il en soit, l’élégant architecte dont on connaît les décorations pompéiennes s’étonnerait lui-même de se voir transformé en une sorte de dieu grec. Il en résulte un certain aspect de froideur que ne rachète pas l’abus des creux pratiqués dans l’intérieur des plans pour donner de la couleur et de la vie au visage.

Est-ce M. Carpeaux que nous allons opposer à M. Cavelier ? Prenons garde de tomber d’un excès dans un autre infiniment plus dangereux ! Et cependant M. Carpeaux, dont la verve paraît se refroidir, n’essaie pas, cette année, d’éblouir son public. Ses deux bustes de M. et de Mme Chardon-Lagache désappointent ses admirateurs ordinaires ; ces bustes ne sont pourtant pas mauvais, tant s’en faut, et ils n’ont que le tort d’être plus simples et plus sobres qu’il n’appartient d’habitude à M. Carpeaux ; on n’y