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patrie dans les écoles de Toulouse, de Trêves ou d’Autun. La plupart cependant étaient indigènes et représentaient souvent les vieilles races savantes, druides et bardes, passés de la science gauloise à la science romaine. Une de ces familles, dont le nom est parvenu jusqu’à nous, offre un assez curieux exemple de transformations successives. Au temps des druides, le temple de Bélen, dans la cité des Baïocasses (Bayeux), était desservi par une lignée de prêtres voués de père en fils au culte de ce dieu du Jour. Patera, c’est-à-dire gardien de sanctuaire, était le surnom gaulois que portaient depuis nombre d’années les servans de ce temple. Cependant lors de la conquête romaine Bélen étant devenu Phœbus, Patera, pour se conformer sans doute aux métamorphoses du dieu, s’était changé en Phœbitius. Puis un jour était venu où le christianisme victorieux était monté sur le trône des césars. Frappé de discrédit public, l’Apollon baïocasse n’avait pas tardé à partager le sort du Jupiter capitolin lui-même, — abandon de ses autels et indigence pour ses ministres. Force avait donc été à la famille Patera de renoncer à sa divinité patronne et nourricière et de délaisser un dieu que délaissaient les adorateurs ; mais Apollo Bélen, dieu du Jour, était également l’inspirateur du poète et de l’orateur. Aussi le gymnase de Bordeaux ne tarda pas à voir un Phœbitius Patera s’établir près de ses murs et faire souche de grammairiens, de versificateurs et d’avocats. De pareilles transformations n’étaient pas rares au IVe siècle, et tel professeur, maître expert dans le bel art et les finesses subtiles de la rhétorique, avait eu pour ancêtre quelque druide farouche, sacrificateur impitoyable de victimes humaines.

Constance Chlore, ami zélé des lettres, favorisa beaucoup les écoles transalpines ; ses successeurs suivirent son exemple, et des constitutions fréquentes, depuis cet empereur jusqu’à Théodose le Jeune, confirmèrent les privilèges des professeurs. Deux lois de Constantin feront connaître la nature de ces privilèges et la sollicitude des augustes pour les établissemens de la Gaule.


CONSTANTIN AUGUSTE A VOLUSIANUS (321).

« Nous ordonnons que les médecins, les grammairiens et les autres professeurs de belles-lettres soient, eux et leurs biens, exempts des charges municipales, et qu’ils puissent être revêtus des honneurs[1]. Nous défendons qu’on les traduise (indûment) en justice, ou qu’on leur fasse quelque tort ; si quelqu’un les tourmente, qu’il

  1. Honores, fonctions supérieures auxquelles certains privilèges étaient attachés, — munera, fonctions municipales qui ne conféraient pas de privilèges.