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Puis un jour vient où, par un juste retour, chacun des peuples conquis rend à son conquérant ce qu’il en a reçu. Quand l’Italie est épuisée, les races vaincues apportent à l’empire leur contingent d’orateurs, de jurisconsultes et de poètes, de généraux et d’empereurs : Rome prélève sur elles du génie, de même que des tributs et des soldats.

La première époque des lettres latines, celle où l’esprit italien domina, fut brillante, mais courte : la république en vit la fin. Le génie ibérien, s’emparant alors de la littérature, lui imprima une direction nouvelle : ce fut la seconde époque. De grands écrivains venus de l’Espagne fondèrent une école et formulèrent des règles de style, devant lesquelles pendant près d’un siècle on vit s’incliner, contraints et forcés, les talens originaux que l’Italie produisait encore. Les chefs de cette école se nommèrent les deux Sénèque, Pomponius Mela, Quintilien, Lucain, Silius Italicus, Martial. Sous leurs mains, la prose latine se resserra, devint plus vive, plus concise, plus pittoresque, tandis que la poésie, moins timide, s’enrichissait de couleurs jusqu’alors inconnues, et s’élevait parfois à des hauteurs que nul n’avait encore explorées. Il y eut sans doute dans cette constante poussée vers le sublime enflure, parfois incorrection, mais plus souvent énergie et chaleur. Certes ce serait une étude curieuse et féconde en résultats que d’approfondir, l’histoire à la main, le caractère de l’école hispano-latine, de remonter à la source de ses qualités ou de ses défauts, de rechercher sur les uns et les autres soit l’empreinte de la race ibérienne, soit encore les vestiges d’une ancienne civilisation orientale, fille des colonies carthaginoises, d’examiner enfin si la marche naturelle de l’esprit humain, dans les lettres comme en toutes choses, n’avait pas nécessité d’avance la révolution que le génie espagnol fit triompher, — questions délicates, fertiles en controverses, et qu’il ne nous appartient pas d’étudier ici. Mais il est un fait dont nul ne saurait nier l’évidence : l’Espagne de Sénèque et de Lucain a largement fourni à l’Italie de Cicéron et de Virgile sa part dans les gloires communes de Rome, et noblement payé son tribut à l’empire.

La prééminence dans les lettres passa de l’Espagne à l’Afrique carthaginoise : à la grandiloquence ibérienne succéda l’impétuosité numide. Un instant on put croire que les sables de la Libye étaient une terre plus aimée des muses latines que le sol du vieux Latium lui-même. Ce fut comme une pacifique revanche des défaites d’Annibal et de Jugurtha. Carthage, ambitieuse de prendre place en tout à côté de Rome, s’érigea en centre littéraire ; comme celle-ci elle voulut avoir ses grandes écoles, ses lectures, ses improvisations, ses déclamations à la bibliothèque ou sur le théâtre. Orateurs,