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autre ; il remplacera les fourneaux insupportables de chaleur que Paris installe dans ses cuisines trop étroites. Sous ce rapport et depuis longtemps, les Anglais nous ont montré ce qu’il y avait à faire. Presque tous les marchands de Londres habitent la campagne ; ils arrivent à leur boutique le matin, et le soir s’en vont dîner chez eux. Ils ont tous dans leur arrière-magasin un petit appareil à trois compartimens : avec une allumette, il est en feu ; dix minutes après, la côtelette est cuite, et il y a de l’eau bouillante pour les œufs à la coque et pour le thé. Nous n’en sommes pas encore là ; mais cela viendra, car les abonnemens particuliers augmentent singulièrement ; ils étaient au 31 décembre 1872 de 94,774[1]. Presque toutes les maisons neuves ont le gaz aujourd’hui ; s’il brûle dans les cours intérieures et dans l’escalier, il n’a pas encore droit de cité dans les appartemens ; on l’admet dans l’antichambre, quelquefois même dans la salle à manger, mais on ne le reçoit pas dans le salon. Pourquoi ? Il fane les tentures. C’est le seul motif qu’on ait pu me donner, et il n’a aucune valeur : je connais un homme hardi qui n’est éclairé qu’au gaz, et ses rideaux ne s’en portent pas plus mal.

Le gaz fut notre auxiliaire pendant la guerre ; lorsque Paris subissait le blocus des armées allemandes, ce fut lui qui nous permit de parler à la province : si nous n’apprîmes rien des événemens extérieurs, au moins nous fut-il possible de raconter ce qui se passait ici. Ce fut la Compagnie parisienne qui fournit la quantité de gaz hydrogène nécessaire pour gonfler ces ballons courageux où l’on mit parfois tant et de si poignantes espérances, que les événemens ont déçues. L’histoire expliquera sans doute par suite de quelles circonstances particulières on ne put profiter de ce moyen de communication pour combiner une action commune destinée à faire un effort d’ensemble qui pût offrir au oins quelques chances de succès. L’usine de La Villette, où j’ai conduit le lecteur, se signala par une activité pleine de dévoûment. « Quand nous étions prévenus qu’un ballon devait partir, me disait-on, on redoublait d’efforts pour obtenir un gaz d’une pureté irréprochable. » Ces services rendus à la grande cause paraissent n’avoir laissé qu’un souvenir bien fugitif dans la mémoire d’une certaine portion de la population de Paris, car aux derniers jours de la commune ce fut par miracle et grâce à l’indomptable énergie des employés que l’usine put échapper à la folie des incendiaires.


MAXIME DU CAMP.

  1. On compte à Paris environ 850,000 becs de gaz particuliers ; en 1872, la consommation des théâtres a été de 2,400,000 mètres cubes.