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avaient laissé 600 morts sur le champ de bataille. Ibrahim ne perdit point son temps à les poursuivre ; il voulait avant tout assurer un meilleur abri à sa flotte.

Les magasins, les maisons, les mosquées de Modon, étaient remplis des provisions apportées de Candie et d’Égypte. Du 1er  au 3 mai, tout avait été débarqué ; les soldats aidaient les matelots, le déchargement des transports avait lieu sous les yeux d’Ibrahim. Les bâtimens de guerre croisaient au large entre Savarin et Modon. Le 3 mai parut la flotte grecque, renforcée de quelques bâtimens ; elle attaqua un détachement ennemi, et « profita de l’incroyable ineptie et de la lâcheté des frégates turques pour faire entrer, en traversant leur feu, quatre bâtimens à Navarin. » Irrité de la manœuvre de ses frégates, Ibrahim s’était jeté à bord d’un brick égyptien pour se porter de sa personne sur le lieu du combat. Le brick qu’il montait fut à diverses reprises couvert par la mitraille. La flottille grecque, « qui avait manœuvré avec hardiesse et pour atteindre un but déterminé, » serra le vent dès qu’elle eut fait entrer dans Navarin le secours attendu par les défenseurs de cette forteresse. « Ibrahim, écrivait le commandant de la Sirène au comte de Guilleminot, est aujourd’hui établi avec environ 15,000 hommes et 8,000 chevaux de Modon à Navarin ; il maintient ses communications avec Coron. Les Grecs se sont retirés à Calamata. Ibrahim ne quittera pas ses lignes avant d’avoir pris Navarin. Malgré son caractère impatient et fougueux, il est loin d’agir sans prudence. »

Le nouveau commandant de la station avait hâte de se mettre en rapport avec le gouvernement grec. Le président Condouriotti était au camp de Scala avec Mavrocordato ; les autres membres du pouvoir exécutif se trouvaient encore à Nauplie. Ce fut à Nauplie qu’en quittant les eaux de Navarin se rendit la Sirène. Après l’extinction du parti de Colocotroni, après la fuite des primats dissidens Londos et Zaïmis, il semblait que l’union eût dû régner enfin parmi les Grecs. De nouvelles divisions s’étaient malheureusement élevées entre eux, et deux partis contraires se disputaient déjà la prééminence, le parti de Coletti et celui de Mavrocordato. « Les avis cependant ne manquent pas aux Grecs, écrivait au comte de Guilleminot le capitaine de Rigny ; les agens des comités allemand, français et anglais, MM. Porro, le général Roche et le comte Gamba, ne se font pas faute de leur en donner ; mais le gouvernement grec vit dans la dépendance des capitaines qui commandent ses troupes ; 12,000 Turcs se sont avancés à deux heures de Missolonghi, à Anatolikon ; à cette nouvelle, les Rouméliotes qui étaient accourus en Morée pour s’opposer à Ibrahim ont abandonné leurs postes. « Ils voulaient, disaient-ils, retourner à la défense de leurs champs. »