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répertoires du Moniteur universel. Cependant le réverbère jouera son rôle, un rôle sinistre ? le cri : à la lanterne ! a retenti plus d’une fois, et plus d’une fois aussi la corde passée autour du cou d’un malheureux a servi à hisser celui-ci au sommet des immenses F de fer qui s’élevaient sur les ponts et sur la place de Grève. Nous précédions les Américains dans l’application de ; la loi de Lynch, loi cruelle, absurde, aussi inexorable pour le bourreau que pour la victime, car elle conduit infailliblement les peuples à la barbarie et à l’abrutissement. Le mot de l’abbé Maury dépasse l’instant où il a été prononcé, il atteint l’avenir, et n’a encore rien perdu de sa froide vérité. « A la lanterne ! — En verrez-vous plus clair ? »

Quoi qu’il en soit de ces faits, les réverbères restaient d’assez ternes lumières que déjà l’industrie privée avait fait en matière d’éclairage un progrès considérable. Les lampes n’étaient autrefois qu’un récipient plein d’huile dans lequel trempait un écheveau de coton ; l’huile, agissant par voie de capillarité, mouillait les fibres, mais n’entraînait avec elle qu’un volume d’air trop mince pour brûler toutes celles-ci ; alors la mèche charbonnait, fumait et ne produisait qu’une clarté insuffisante. C’est la lampe antique ; elle existe encore dans l’Italie méridionale et en Orient. Un Genevois nommé Aimé Argand imagina de tisser des mèches en fils de coton, de les placer entre deux tubes dans l’intervalle desquels circule incessamment un courant d’air qui active la combustion, nourrit la flamme et vivifie la clarté. Une cheminée de verre, placée sur la lampe et enveloppant les tubes, servait à augmenter le tirage et à empêcher tout dégagement de fumée. Le 5 janvier 1787, Argand reçut du parlement des lettres patentes équivalant à un brevet d’invention et au droit d’exploitation exclusive. La nouvelle découverte fit fortune, chacun prétendit y avoir des droits, et un apothicaire intrigant appelé Quinquet donna son nom à la lampe d’Argand, un peu comme Americo Vespucci avait baptisé les terres pressenties et trouvées par Colomb[1].

Ces améliorations, qui eurent pour résultat de faire substituer presque partout l’usage des lampes à celui des chandelles et des bougies, n’atteignirent point les réverbères ; ceux-ci, fumeux et peu éclairans, étaient toujours alimentés par l’ancien système. On en avait successivement augmenté le nombre : ils étaient à une ou plusieurs mèches. En 1817, on en compte 4,645, renfermant 10,941 becs ; en 1820, 12,672 becs sont contenus dans 4,553 lanternes. Le 17 février 1821, on fit, place du Louvre, l’essai d’un nouvel éclairage

  1. La lampe d’Argand avait un inconvénient majeur : le réservoir d’huile, disposé de façon à être plus haut que la mèche, faisait ombre d’un côté ; ce fut Carcel qui, en inventant un mouvement d’horlogerie installé dans le pied même, créa réellement la lampe moderne en 1802.