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d’incendier la ville catholique au premier coup de canon qui partirait de la Galatée. Il fallut transiger. L’héparque et le consul de France se chargèrent de la négociation. L’aspirant et les cinq canotiers furent échangés contre les cinquante marins grecs ; le corsaire quitta son asile et vint mouiller sous la volée de la frégate. Quand les Grecs eurent ainsi fait acte de soumission, nous consentîmes de notre côté à croire à leur innocence. Le capitaine et l’officier du Trasybule allèrent rejoindre en paix leurs compagnons, mais nos officiers n’oublièrent de longtemps ce qu’il en peut coûter d’amariner avec négligence un bâtiment grec.

La piraterie prenait de jour en jour un caractère plus féroce. Un bâtiment anglais et un bâtiment sarde avaient disparu ; on accusait les Grecs d’en avoir massacré les équipages, a le déclare, écrivait l’amiral de Rigny le 25 avril 1826, qu’il est impossible à un bâtiment isolé de faire 10 lieues dans ces mers sans être assailli. Il n’y a jamais eu dans aucun temps et dans aucun parage d’exemple d’un brigandage aussi effronté. Ceux qui s’y livrent savent qu’ils trouveront dans leur propre pays non-seulement impunité, mais encore protection, ils savent aussi que le prestige attaché à leur cause fera accuser ceux qui s’élèvent contre de pareilles atrocités de les exagérer. Il me semble cependant qu’on peut dire la vérité sur les Grecs sans désirer qu’ils retombent sous le joug des Turcs. L’Archipel présente ce singulier spectacle de bâtimens neutres naviguant avec toutes les précautions des temps de guerre les plus animés. » La misère, l’indiscipline, de dangereux conseils, des dispositions naturelles et pour ainsi dire héréditaires, des localités favorables, poussaient les insulaires dans cette voie funeste. La Grèce rétrogradait insensiblement vers la barbarie.

Les Ipsariotes qui avaient pu échapper au massacre du 10 juillet 1824, après avoir vécu pendant quelque temps des largesses d’un de leurs compatriotes, Varvakis, devenu un des sujets les plus opulens du tsar, offraient vainement leurs services à un gouvernement qui n’avait pas le moyen de les payer. Exclus de la seule industrie qui fût à leur portée, ils s’étaient faits pirates et infestaient, avec de misérables bateaux qu’ils avaient construits eux-mêmes, tous les abords du golfe de Salonique. L’hiver venu, lorsque les flottes turques étaient paralysées, que les flottes d’Hydra et de Spezzia étaient rentrées au port, la grande piraterie se donnait à son tour carrière. Des bricks de dix à vingt canons s’établissaient en permanence sur les côtes de Syrie et d’Égypte ; ils en revenaient avec un butin qu’on évaluait, vers la fin de l’année 1826, à plusieurs millions. Il fallait un repaire à ces opérations illicites. Hydra et Spezzia étaient trop en vue, trop voisines du siège du