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quitté les parages de Missolonghi pour se livrer isolément à la course, les marins grecs, inclinant de plus en plus à la piraterie, en vinrent à ne plus respecter les bâtimens escortés. Le 5 mars 1826, un convoi autrichien composé de dix-sept voiles marchandes se trouvait réuni à Milo, sous l’escorte des bricks de guerre le Véloce et l’Orion. Les capitaines de deux bricks grecs annoncèrent l’intention de visiter à tout prix ce convoi. Dans la nuit du 6 au 7, arrivèrent sur rade deux nouveaux bricks hydriotes. Le vent venait de passer au sud-est, le convoi mit sous voiles ; les Grecs appareillèrent dès que le dernier navire autrichien fut sorti de la passe. « J’ai eu le regret, écrivait le capitaine Fauré, commandant la goélette française la Torche, détachée en ce moment à Milo, de voir ces corsaires, animés d’une audace malheureusement impunie, capturer et emmener trois bâtimens sous le canon même de l’escorte autrichienne ; de part et d’autre il n’y a pas eu une amorce brûlée. » À la même époque, un bâtiment anglais était également visité et saisi sous les yeux du commodore Hamilton. Notre situation heureusement n’était pas celle des officiers de la marine britannique ; c’étaient les lois mêmes que nous avions faites, les doctrines que nous avions constamment professées, qui nous autorisaient à ne pas dévorer en silence de semblables injures. Durant la guerre de 1769 à 1774 entre la Russie et la Porte, nous étions en possession de toute la caravane du Levant ; la seule navigation qui maintînt alors les relations commerciales d’une échelle à l’autre se faisait sous pavillon français. Victorieuse à Tchesmé, jamais la Russie n’éleva la prétention d’apporter le moindre obstacle à ce trafic ; devions-nous reconnaître aux Grecs un droit que nous aurions dénié à la Russie ?

Au milieu des désordres de l’Archipel, les commerçans étrangers établis dans le Levant, avaient éprouvé de 1821 à 1826 des pertes évaluées à 4 millions pour l’Autriche, 900,000 francs pour la Grande-Bretagne, 300,000 francs pour la France, sans compter ce qu’avaient pu perdre les Sardes, les Hollandais et les Américains. Nos capitaines s’étaient acquittés jusqu’alors avec un zèle et une patience véritablement exemplaires de devoirs qui tendaient à perdre chaque jour de leur précision. L’excès du mal vint simplifier leur tâche. Ils reçurent des instructions qui ne pouvaient plus leur laisser aucun doute sur les droits dont ils étaient investis, sur les devoirs qu’ils auraient, le cas échéant, à remplir. L’occasion de déployer une juste sévérité ne se fit malheureusement pas attendre. Le 17 mars, une goélette grecque de dix canons, la Pénélope, montée par 120 hommes d’équipage et commandée par le propre neveu de l’amiral Miaulis, le capitaine Dimitri, voulut renouveler sur un