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plaignait hautement de nos hésitations et nous menaçait de s’entendre avec l’Angleterre, s’il ne parvenait pas à s’entendre avec nous.

Ces dispositions nouvelles du petit-fils de la grande Catherine étaient sans doute peu connues dans le Levant, car, lorsqu’on apprit à Odessa que l’empereur Alexandre venait d’expirer à Taganrog le 1er décembre 1825, les Grecs virent dans sa mort un événement éminemment favorable à leur cause, et « en firent, nous dit l’ambassadeur de France, des réjouissances publiques. » Le successeur d’Alexandre devait être ce prince Constantin que l’insurrection de 1790 demandait pour souverain à l’impératrice Catherine. « Nos musulmans, écrivait à la date du 25 décembre le comte de Guilleminot, sont déjà dans les transes. Il est aussi tels de nos collègues qui ne sont point du tout rassurés. Les employés de la légation russe répondent, avec ou sans dessein, que le prince Constantin est bien différent aujourd’hui de ce qu’il était naguère. — Sa tête est mûre, disent-ils, et la vénération qu’il avait pour son frère le portera sans doute, au moins pour quelque temps, à continuer le système d’Alexandre. »

Sur toute la ligne du Pruth, le 19 décembre 1825, les autorités et les troupes avaient prêté serment de fidélité au nouvel empereur, quand soudain on apprit à l’armée des frontières que le prince Constantin venait de renouveler la renonciation qu’il avait faite en 1822 de tous ses droits au trône. À la suite d’une émeute qui coûta la vie au gouverneur de Saint-Pétersbourg et peupla les provinces sibériennes de nouveaux proscrits, le prince Nicolas avait mis sur sa tête la couronne impériale. Depuis Pierre le Grand, aucun descendant des Romanof n’avait été plus digne de la porter. À Vienne, lorsqu’on ignorait encore lequel des deux frères serait finalement empereur, on faisait dans l’intérêt de la paix des vœux pour Constantin, « ennemi déclaré des insurrections ; » à Constantinople, l’impression fut tout autre. L’avènement d’un prince dont les tendances et la personne étaient inconnues encore eut pour premier effet « de rassurer les Turcs et de désenchanter les Grecs. »

Il est dur, quand on a tant souffert, quand on a fait pendant cinq années consécutives une guerre sans merci, avec des alternatives de succès, d’espérances déçues et de revers, de se voir réduit à ses propres ressources et d’être forcé de reconnaître qu’on ne peut plus attendre son salut que de soi-même. Aussi le gouvernement de Nauplie, loin de s’avouer cette triste vérité, de la proclamer hautement et d’y conformer sa conduite, prêtait-il avidement l’oreille à tous les bruits qu’il croyait de nature à distraire l’inquiétude publique. « La mésintelligence survenue entre Ibrahim et Reschid-Pacha au sujet du siège de Missolonghi paraît avoir laissé, écrivait