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les entretiens privés. Il faut aussi remarquer que les messages, les lettres diplomatiques, les documens rédigés à loisir, n’étaient pas dans les habitudes de l’antiquité hellénique ; même dans les procès civils, les pièces écrites n’intervenaient que rarement. Les premiers historiens mêlent de nombreux discours à leurs récits : on a cru trop facilement qu’ils cherchaient à varier l’intérêt du drame par des morceaux oratoires ; il n’en est rien. Les harangues que donne Thucydide par exemple ont toutes été prononcées, et il les reproduit aussi fidèlement qu’il peut le faire. Il est certain qu’il n’a rien épargné pour bien savoir ce qui avait été dit, qu’il a cherché à retrouver tous les raisonnemens des orateurs, quelquefois même les expressions dont ils s’étaient servis. S’il eût écrit de nos jours, il n’eût pas inséré dans son livre des morceaux où forcément nous retrouvons la marque de son génie, il eût donné des dépêches diplomatiques, des proclamations, des mémoires justificatifs, des exposés présentés par le gouvernement aux assemblées. On voit combien se sont trompés les rhéteurs qui ont surtout regardé ces discours comme des œuvres littéraires ; ce sont là bien plutôt des pièces officielles : l’historien ne pouvait les négliger sans manquer à la vérité. Que si ces discours, comme on l’a remarqué, expliquent souvent la suite des faits et en donnent la philosophie, c’est que cette philosophie devait se retrouver dans les paroles qui furent prononcées. Le mérite de Thucydide est d’avoir su choisir entre tant de harangues celles qui nous permettaient le mieux de bien voir le sens, les causes et l’esprit des événemens.

La première période de l’histoire politique de la Grèce n’a dû laisser que peu de discours. Elle a été cependant la plus vigoureuse, la plus forte époque de l’art de parler dans ce pays, celle où les faits et les raisons nettement déduites frappaient surtout les esprits, où la parole était la condition de la vie politique sans en être encore l’ornement ou le danger, alors qu’on pouvait vraiment dire de l’éloquence qu’elle était pragmatique, pleine de choses. La rhétorique ne précisa ses doctrines que dans la période qui suit les guerres médiques et finit à la guerre du Péloponèse. A partir de ce temps, les harangues et les plaidoyers commencèrent à être recueillis. L’éloquence athénienne comptait dix orateurs qui avaient surpassé tous les autres. Nous en trouvons cinq dans le livre de M. Perrot, Antiphon, Andocide, Lysias, Isocrate et Isée ; ils sont les précurseurs du plus grand de tous, de Démosthène.

Ce qui fait l’intérêt de ces études, c’est qu’elles sont vraies. Il serait difficile de définir la vérité en histoire ; elle demande surtout à l’écrivain une qualité sans laquelle toutes les autres ne sont rien, le tact, ce sentiment profond des époques qui fait que toute note fausse le choque d’instinct. Il faut qu’il sache ce qui pouvait être et ce qui était impossible : ce don n’est pas moins dû à l’intuition qu’à l’étude ; c’est une sorte d’aperception, d’intelligence vive et délicate, capable de généraliser, mais curieuse des moindres détails, qui voit toutes les parties, mais qui