Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/727

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répandu sur la moitié du territoire et maître de marcher sur Lyon ou sur Bordeaux, nos armées désorganisées ou découragées, l’état réduit à vivre de quelques prêts de la Banque, les villes du midi envahies par une démagogie turbulente et dissolvante, Paris tombant des agitations du siège dans une insurrection déjà menaçante contre laquelle on était sans forces, voilà où nous en étions. Qu’on regarde la France aujourd’hui. Sans doute elle se ressent de ses cruelles épreuves ; mais elle a retrouvé la paix. L’étranger est près de quitter le territoire. Notre armée se relève par degrés. Des emprunts gigantesques ont pu s’accomplir et attester la renaissance du crédit national. L’ordre est rentré dans les villes et dans les campagnes. Croit-on que cela s’est fait tout seul ? L’assemblée y a contribué sans doute ; mais pense-t-on que l’assemblée eût aussi bien réussi dans une telle œuvre, si elle n’avait eu auprès d’elle et à sa tête un homme de cette prodigieuse activité, de cette expérience, inexorable pour le désordre, doux et facile dans le gouvernement de tous les jours, comprenant qu’on ne ramène pas un blessé à la santé par des coups de force et de violence ? La justification de M. Thiers, c’est ce qui arrive en ce moment même, c’est cette transmission d’autorité qui s’accomplit non sans exciter d’émotion, mais en pleine paix publique, — c’est ce pouvoir passant simplement, régulièrement des mains de M. Thiers lui-même aux mains du maréchal de Mac-Mahon, et, par une étrange coïncidence de plus, tout cela s’est fait le 24 mai, l’anniversaire du jour où l’armée reconstituée par l’ancien président de la république, replacée par lui sous les ordres du maréchal de Mac-Mahon, rentrait, il y a deux ans, dans Paris, victorieuse de la commune !

M. Thiers a pu se retirer le cœur tranquille, et, puisqu’il quittait la présidence, nul certes n’était mieux fait pour être élevé à un pareil poste que le maréchal de Mac-Mahon, que le soldat vaillant et modeste devenu illustre sans jamais avoir cherché l’éclat, et qui a si souvent dans sa longue carrière accompli des actions héroïques comme les choses les plus simples. C’est un des caractères du nouveau président de se voir appelé à un rôle politique sans y avoir aspiré ou sans avoir jamais rien fait pour acquérir cette popularité qui donne quelquefois le pouvoir. La confiance de l’assemblée est allée le trouver au poste où l’avait placé M. Thiers. Que s’est-il passé entre le nouveau et l’ancien président ? Nous croyons peu aux scènes qu’on a racontées. M. Thiers s’est abstenu vraisemblablement de donner un conseil quelconque. Pour sûr, le maréchal a été ce qu’il devait être avec celui qui était allé le chercher, à peine relevé de ses blessures, pour lui offrir une occasion nouvelle de servir la France. L’autorité du maréchal de Mac-Mahon est dans l’honneur de sa vie, dans la loyauté de son caractère et de sa parole, dans l’indépendance qu’il a toujours pratiquée sans bruit et sans