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d’en finir, qu’on ne voulait pas renvoyer jau lendemain une résolution d’où pouvait dépendre le repos du pays. Évidemment on voulait se donner le temps d’avoir une seconde séance en restant dans les termes de la loi des trente. A deux heures, on se retrouvait. Quel avait été dans l’intervalle l’effet du discours présidentiel ? Ce qui apparaissait d’abord comme un signe grave, c’est qu’on ne répondait pas même à M. Thiers.

C’était parfaitement clair, il y avait une idée arrêtée de ne pas laisser se prolonger et s’égarer la discussion, d’en venir tout de suite au vote après les explications échangées entre M. le duc de Broglie, seul organe de l’opposition conservatrice, et le gouvernement, représenté par M. Dufaure, puis par M. Thiers. Le programme s’accomplissait avec une rigueur méthodique. Vainement le ministre de l’intérieur, M. Casimir Perier, essayait-il de relever pour son compte les accusations ou les insinuations de M. le duc de Broglie, et d’attester le caractère conservateur du cabinet où il venait d’entrer, le discours de M. Casimir Perier était peu écouté et avait peu d’effet. On voulait aller au scrutin. Le débat se resserrait et s’agitait entre l’ordre du jour pur et simple, réclamé par le gouvernement, et un ordre du jour motivé dont le premier signataire était M. Ernoul, qui avait eu déjà un rôle comme orateur dans les discussions du mois de novembre dernier. Cet ordre du jour, programme d’une révolution légale, était on ne peut plus significatif. Mettant hors de doute la forme de gouvernement, constatant que l’assemblée restait « saisie des projets constitutionnels présentés en vertu d’une de ses décisions, » il exprimait la pensée qu’il importait, « pour rassurer le pays, de faire prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice, » et il manifestait le regret que « les récentes modifications ministérielles n’eussent pas donné aux intérêts conservateurs la satisfaction qu’ils avaient droit d’attendre. » La question se posait aussi nettement que possible. On commençait par l’ordre du jour pur et simple avant d’en venir à l’ordre du jour motivé, s’il y avait lieu. Au dernier moment cependant survenait une dernière péripétie qui laissait voir ce qu’il y avait d’incertitude et d’anxiété dans quelques esprits. Un certain nombre de députés, ils étaient quinze, M. Target en tête, appartenant au groupe de M. Casimir Perier, et sur lesquels le ministère croyait sans doute pouvoir compter, essayaient de s’interposer pour tempérer le choc ; ils se rattachaient à l’opposition par leur désir de voir adopter une « politique résolument conservatrice, » ils se rattachaient au gouvernement par leur adhésion à la république représentée par M. Thiers. Ils semblaient hésiter encore, peut-être aurait-on pu déplacer ces quinze voix ; on ne paraît pas avoir assez songé à cela, et tout s’est accompli. Dans le scrutin sur l’ordre du jour pur et simple, la majorité contre le gouvernement était de 14 voix ; dans le vote de l’ordre du jour motivé, cette majorité était de 16 voix. On touchait au dénoûment.