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ruiner de toutes parts. On ne voyait pas qu’à jouer ce jeu de démolir légèrement, aveuglément, le provisoire sans pouvoir ou sans vouloir faire du définitif, on développait un état d’incertitude et de trouble qui était un encouragement pour les partis extrêmes, une faiblesse pour l’autorité publique, et qu’il viendrait nécessairement une heure où le gouvernement lui-même serait obligé de prendre un parti, comme le disait récemment M. Thiers. Ce moment est venu en effet. C’est alors que la situation s’est accentuée et compliquée ; c’est ce jour-là qu’a commencé réellement la crise qui vient d’aboutir aux derniers événemens de Versailles. Ce jour décisif a été celui où M. Thiers allait porter à l’assemblée revenant de ses vacances le message du 12 novembre 1872, ce message par lequel il représentait la nécessité, sinon de proclamer bruyamment, fastueusement la république, du moins de créer les institutions organiques propres à faire vivre une situation légalement décorée du nom de république.

Lorsque M. Thiers agissait ainsi dans le sentiment de sa responsabilité, dépassait-il son droit ? commettait-il une usurpation ? Les partis ont pu le dire ; c’était évidemment une exagération singulière. M. Thiers n’imposait rien, ne décidait rien : il montrait le danger d’un provisoire indéfini ; il dénonçait la question, selon l’expression qu’il employait l’autre jour, il la livrait à l’autorité souveraine de l’assemblée. Même en se prononçant en faveur de la république, puisqu’il considérait la république comme seule possible, se laissait-il aller à des théories vagues et périlleuses ? flattait-il les idées, les fanatismes des radicaux ? Nullement à coup sûr ; sa préoccupation était au contraire de rester dans la pratique des choses, d’éviter tout ce qui pourrait blesser des convictions sincères, de chercher uniquement les moyens d’organiser une république adaptée aux intérêts et aux habitudes de la France, entourée de garanties, d’institutions tutélaires. Si la droite eût écouté sa raison au lieu de céder à ses défiances ou à ses préjugés, elle ne se serait pas révoltée aussitôt, elle aurait compris que dans les propositions de M. Thiers il y avait tous les élémens d’un gouvernement conservateur. Elle ne distinguait malheureusement dans le message du 12 novembre que cette idée de fonder définitivement la république ; elle ne voyait dans la résolution de M. Thiers qu’une avance de plus faite à la gauche, une condescendance dangereuse, encourageante pour le radicalisme lui-même, et devant cette manifestation qui la froissait, qui l’étonnait, à laquelle elle n’avait pas été peut-être assez préparée, qui lui apparaissait sous la forme d’une sorte de molu proprio, elle se redressait comme si elle avait eu à relever un défi. Il en résultait cette situation où M. Thiers, soutenu par toutes les fractions de la gauche, uniquement pour avoir prononcé le mot de république définitive, se voyait séparé de la majorité conservatrice, qui ne lui avait pas manqué jusque-là dont il aurait eu besoin plus que jamais pour établir la république