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mens politiques. C’était un fait clair comme le jour que depuis un an surtout il y avait une sorte de malentendu à peu près permanent, à peine dissimulé, entre une fraction considérable de l’assemblée qui se donnait pour la majorité conservatrice et M. Thiers. Les conservateurs de toutes les nuances de la droite ne pardonnaient pas au président de la république d’hier la résistance qu’il opposait quelquefois à leurs prétentions, l’appui qu’il recevait de la gauche, et même ce qu’ils appelaient ses faiblesses pour les radicaux. Seulement M. Thiers avait pour lui la supériorité de son esprit, son expérience consommée, son dévoûment aux intérêts publics, les immenses services qu’il rendait, la confiance manifeste du pays, et avec cette force il était certainement homme à se défendre, à déconcerter les oppositions plus ou moins déguisées, à maintenir en fin de compte la ligne de gouvernement modéré, impartial, qu’il entendait suivre entre toutes les opinions sans se laisser absorber par aucun parti. C’était justement son système de n’être point un gouvernement de parti, de rester au contraire un pouvoir médiateur empêchant les partis de se déchirer entre eux, de chercher à se dominer mutuellement. Tant que les difficultés qui étaient la triste suite de la guerre étrangère et de la guerre civile subsistaient encore, M. Thiers gardait sans effort son ascendant, ses adversaires se sentaient impuissans ; ils laissaient le président de la république poursuivre cette œuvre de réparation qui restait le lien entre toutes les fractions de l’assemblée et le gouvernement, ils refusaient sa démission lorsqu’il lui prenait la fantaisie de la donner. Cette démission, ils la refusaient, les uns par conviction ou par patriotisme, les autres parce qu’ils comprenaient la difficulté de remplacer M. Thiers. Qui ne se souvient de ces crises suivies de réconciliations périodiques ? Le malentendu n’avait encore rien d’irréparable pour une double raison : d’abord on sentait bien que l’ordre matériel était en sûreté, qu’en tout ce qui touchait à la paix publique, aux affaires d’administration, M. Thiers était plus conservateur que bien des conservateurs qui l’accusaient ; puis on ajournait ses griefs et ses espérances en se disant que dans tout cela la question essentielle, souveraine et délicate de la forme définitive de gouvernement n’était point engagée, que cette terrible question de la république ou de la monarchie restait sous la sauvegarde de ce qu’on était convenu d’appeler le pacte de Bordeaux.

C’eût été au mieux, si le pacte de Bordeaux avait été compris et respecté comme il aurait dû l’être. Malheureusement on passait son temps à le violer, à le dénaturer de toute façon, en faisant au gouvernement seul une loi de l’observer. On l’invoquait quand on y voyait son intérêt ; on le diffamait, on le livrait à toutes les railleries lorsqu’on craignait de ne plus pouvoir s’en servir, et on ne s’apercevait pas qu’on créait ainsi au pouvoir exécutif, au mandataire de l’assemblée, une situation impossible, en l’enfermant dans une trêve qu’on s’ingéniait incessamment à